La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

mardi 22 juillet 2014

Carcassonne, ... On s'est pris un vent!

Je me demandais pourquoi l'on concluait par « courage! », chaque fois que je répondais aux multiples questions que l'on me posait concernant notre mode de vie. Je pensais et concluais en riant par cette affirmation : « Oh ! Du courage, nous n'en manquons pas, c'est du public qu'il nous faut! ». Mais ici, j'avoue que sur le site de « Tridôme » à Carcassonne, le courage commence à vaciller, le chapiteau aussi...
Xavier en caleçon essaie d'attirer l'attention, on n'a pas de public...
Car si dès notre arrivée, nous fûmes surpris par l'extrême chaleur (40° et pas un souffle de vent), la suite, allait encore nous réserver quelques petites joies...
Nous nous installons donc sans traîner, en vue de commencer notre série de représentations, et nous observons, curieux, la « ferme Pinocchio » installée tout à côté. Nous nous arrangeons avec eux, pour brancher à la hâte le tuyau d'eau et le câble électrique sur leur installation, nous irons rencontrer le gérant de »Tridôme » le lendemain pour voir ce qu'il est possible de faire pour notre installation qui durera deux semaines. Le lendemain, Juliana fera une entrée franche dans notre roulotte familiale.
Juliana est une femme d'âge mûr, les cheveux longs et foncés, la peau basanée et tannée par le vent et le soleil, le regard lumineux et franc, elle est habillée d'un jeans et de bottes de cuirs, elle porte un t-shirt blanc à motifs. Je pense « cette femme est très belle », elle dit : « Je voulais voir la roulotte quand-même, il fallait que je vois la roulotte, ma mère vivait dans une roulotte comme celle-là,.. ». Elle enchaîne en me posant de multiples questions:  « Et les enfants y dorment où,... Ah ? Et alors, vous, vous dormez dans une autre roulotte ?... ». Voyant ma fille Ysaline, elle continue en lui disant : « Et toi, toi, t'as une belle vie, hein ?!.. ». Ma fille la regarde sans répondre, Juliana insiste : « C'est chouette, hein, le voyage? ». Ma fille ennuyée ne sait que répondre. Juliana me regarde perplexe. J'explique doucement que ma fille a 15 ans, qu'elle souhaite partir et continuer une formation dans une école, qu'elle souffre parfois de rester avec ses parents et sa famille... Juliana s'adresse alors à Ysaline : « Mais tu as à peine 15 ans, tu n'es pas prête pour partir, chez nous, chez les Manouches, la fille ne peut pas fréquenter un garçon avant 18 ans, et le garçon doit demander au père la permission de fréquenter la fille, quand il a eu l'autorisation, il devra encore attendre trois ans pour pouvoir vivre avec la fille, et toi, tu veux partir! Moi, mon fils il ne veut pas partir, il est content d'être près de maman... Et tu vas faire quoi à 15 ans ?... ». Ysaline répond : « Non, je ne veux pas « partir »,... C'est compliqué... Je veux continuer ma formation musicale, je veux juste m'éloigner de mes parents, de ma famille, tout ça quoi... ». Juliana qui a du mal à comprendre : « C'est ta caravane là ?... Tu as déjà ta maison ?!!! ».Ysaline s'en va chez elle, Juliana me regarde : « Elle en a dans la tête, hein ! Elle veut être sédentaire, ça se sent qu'elle veut être sédentaire... ». J'explique alors à Juliana qu' Ysaline aime le voyage, mais qu'elle est à un moment de sa vie où elle réclame plus d'autonomie, de liberté et d'espace personnel, je la rassure en lui disant qu'elle ne veut pas nous « quitter », mais qu'elle souhaite « partir » pour respirer. Juliana me parle alors de sa fille Mireille (qui doit avoir environ 35 ans), de son gendre et de tout le protocole qu'il a suivi pour fréquenter Mireille, elle parle aussi de ses deux fils qui doivent tout deux avoir près de 40 ans, elle me quitte, je la salue, et elle va rejoindre les siens qui vivent, tous, auprès d'elle. (Les enfants, le beau-fils, le mari et les petits enfants). Le lendemain, elle m'invitera à venir visiter ses caravanes (deux énormes camions, une caravane et de multiples remorques), nous finirons Xavier et moi dans le camion de Mireille à boire le café préparé par Juliana. 

Plusieurs petites choses éveillèrent une émotion étrange en moi : Alors, que leur journée de travail était finie, tous étaient pourtant occupés à travailler , les uns changeant une roue, l'autre refaisant l'intérieur d'une caravane, l'autre encore remettant à neuf une porte, l'autre ponçant, et tout cela apparaissait comme l'activité joyeuse d'une ruche, et les abeilles travaillaient en accompagnant parfois d'une voix forte la sono qui fonctionnait pour tout le monde, et qui jouait tonitruante « Méditerranéenne... ». En sirotant mon café, je regardais émerveillée le poisson dans son petit aquarium posé sur le comptoir du camion de Mireille et je m'étonnais qu'il puisse survivre au voyage. Mireille souriait et me dit : « Quand tu bouges, il suffit de mettre l'aquarium dans l'évier, c'est simple! ». Juliana me montrait tout ce qu'il était possible de montrer, les tiroirs coulissants, le chauffage au fuel, la toilette, la douche, la chambre à coucher des parents, celles des enfants, elle me présenta à ses fils... Et je finis par les quitter, avec cette émotion particulière qui, elle, ne me lâchait pas.
Ce soir là, faisant le bilan des multiples difficultés auxquelles nous étions confrontés cette saison, je regardais mon compagnon et je dis : « Tu vois, ils sont beaux, ils sont rayonnants, ils sont joyeux, ils sont travailleurs, ils semblent n'avoir peur de rien, ils sont incroyablement forts. Leur force, c'est la famille, leur force, c'est le clan, où qu'ils aillent ils ne sont jamais seuls, si ils s'éloignent, ils savent qu'ils ne sont pas seuls, ils ne comprennent absolument pas la solitude! ».

Ça y est... La famille pète un plomb... 20H00... Personne.
Voilà, j'avais mis le doigt sur cette émotion, étrange mélange de joie et de tristesse, émotion mélangée émanant du constat d'être dans un monde où l'on a tout séparé, la terre qui se donnait pourtant sans partage n'était à présent plus que frontières et propriétés (publiques ou privées), on avait séparé les parents des enfants, les vieux des jeunes, le matériel du spirituel, le corps de l'esprit, la femme de l'homme, la santé de la maladie, le jeu de l'apprentissage... Les familles se trouvaient donc décomposées ou recomposées, l'on avait parfois trouvé sa moitié, l'on travaillait des quarts temps, des mi-temps, des temps partiels ou des temps pleins, mais jamais l'on était accomplis, on était juste malade ou en pleine forme, on était actif ou inactif, et tout les liens subtils unissant les choses et les êtres disparaissaient progressivement de ce monde désormais divisé et qui me semblait stéril. On en était réduit à ne compter que sur soi-même, à prier d'être en bonne santé, à vieillir en bon état, à gagner suffisamment d'argent pour s'occuper des enfants, avoir assez de temps pour parler, à s'enfermer « chez soi »en espérant qu'il ne nous arrive rien, à regarder le monde abruti sur un petit écran...Même si Ysaline ne comprenait pas ces façons de voir traditionnelles, et qu'elle aspirait à la liberté et l'éloignement, à l'autonomie et au détachement, il lui était difficile de voir à quel point ces gens du voyage étaient libres et heureux, il était sans doute difficile d'accepter que cette liberté venait de l'attachement fort au groupe et des comportements qui en résultaient : la solidarité absolue à l'égard de tous ses membres et un engagement unanime et sans condition dans l'entraide nécessaire quand l'on entreprend une vie dans l'improvisation, le mouvement et le voyage. Il me restait cette question « mais si toute la vie était un voyage, alors où et qui étaient mes compagnons de voyage, dans mon monde à moi, façonné par des décennies de guerres, de jeux de pouvoirs, redessiné sans cesse par de nouvelles règles, de nouvelles lois, de nouvelles frontières, et dont la seule chose devenue capitale dans mon monde à moi s'appelait si justement le capital?».
Les jours suivants n'allaient malheureusement pas atténuer cette impression de n'être qu'un poète au milieu des fous...

Je m'appelle "Dressée avec le poing"...
Comme à l'habitude, nous devions distribuer nos gazettes afin de diffuser l'information sur notre présence (Xavier joue de l'accordéon et moi j' annonce à la criée les prochaines dates de notre spectacle). Cette façon de faire à l'ancienne est souvent bien accueillie par le public... Nous voilà soudain arrêtés par la police qui nous demande de fournir notre autorisation, Xavier rigole, il croit à une bonne blague (on ne se refait pas!), les policiers au nombre de trois nous font vite comprendre qu'ils ne rigolent pas, et nous précisent que sans la dite autorisation de la mairie, il ne nous sera pas possible de jouer de l'accordéon et de faire « la criée ». Xavier tente d'argumenter, mais peine perdue, nous sommes renvoyés vers la mairie. Déjà très fatigués, par des démontages et montages successifs liés aux vents violents sur le secteur, nous nous rendons fulminants au service de la mairie, nous ne comprenons pas l'interdiction. Nous sommes reçus par une dame qui ne fait que répéter qu'il nous faut un arrêté du maire, elle nous « invite » à écrire une lettre et à l'envoyer à la mairie. Xavier s'énerve : « Mais, c'est ridicule, nous jouons demain ! Il n'y a personne qui peut nous faire une signature sur un papier ?... ». Face au refus de la dame, Xavier tente encore de convaincre par ses arguments. Peine perdue, la dame répète qu'elle ne peut rien faire dans notre sens. Elle finit par téléphoner à son supérieur (Chef de la réglementation sur la ville de Carcassonne). Alors que les bureaux devraient être fermés, on peut saluer l'effort de ce fonctionnaire de mairie qui se déplacera tout de même, bravo Monsieur! Xavier ré-explique la situation au « Chef », celui-ci confirmera les paroles des policiers et de la dame, il répétera qu'il fait bien son travail, travail qui consiste à faire respecter les règlements en vigueur sur la ville, il rappellera que la ville de Carcassonne étant classée au patrimoine, toute action doit être préalablement demandée par lettre à la mairie : « Vous comprenez, ou sinon, il pourrait y avoir de tout dans nos rues et nous pourrions être très vite envahis et dépassés ». Xavier sort de ses gongs, il explique qu'il ne comprend pas comment d'un côté on peut se plaindre du taux de chômage élevé ici sur l'Aude et de l'autre côté, on pouvait empêché ou rendre difficile toute initiative, par ailleurs, il soulignera qu'il n'a vu aucun artiste dans les rues. Le monsieur apprenant que nous sommes sur le site privé de Tridôme croira de bon goût d'ajouter : « Le Monsieur de Tridôme aurait du vous informer de la réglementation liée à la ville, ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à lui, d'ailleurs je lui ai déjà envoyé une lettre en recommandé pour lui rappeler ses responsabilités en cas d'accident parce qu'il a le droit de faire ce qu'il fait, c'est son terrain, mais en cas de problème, il faudrait qu'il se souvienne de ses responsabilités... Il aurait du vous informer. » Moi, ahurie : « Ecoutez, je trouve assez déplacé de jeter la pierre à un monsieur qui a eu la gentillesse de nous accueillir gratuitement sur son site, qui de plus, nous fournit l'eau et l'électricité gracieusement, et encore, dois-je rappeler que si nous sommes là, c'est parce que justement, Madame G. qui se prétendait compétente comme attachée culturelle pour le festival d'été sur Carcassonne, nous a lamentablement opposé un refus et cela après deux mois de négociation, au moment de la signature de l'engagement celle-ci s'est soudainement rappelé que nous ne pourrions pas jouer avec notre chapiteau à côté de la cité... Madame G. avait pourtant notre dossier complet en main, la fiche technique, et les précisions concernant notre spectacle, c'est elle même qui avait décidé de nous placer à côté de la cité, et c'est encore elle qui voulait nous faire un contrat, nous ne demandions en effet qu'un emplacement pour jouer ! Vous comprendrez donc que si il y a une pierre à jeter j'aurais plutôt tendance à la jeter sur Madame G. qui travaillant à la mairie m'a semblé fort peu compétente ». On aurait pu ajouter face à l'obstination du bonhomme, que lorsque nous avions retéléphoner à Madame G. pour, lui exprimer toute notre déception, lui expliquer à quel point son refus tardif aurait des conséquences négatives sur notre saison, elle s'était contentée de répondre dédaigneuse : « Écoutez Monsieur, ici, on est à Carcassonne, et nous avons à peu près deux milles demandes, donc soyez contents qu'on vous ait déjà pris quelque chose (nous avons un contrat de 400 euros à prester sur la cité, le 23 juillet). Nous n'avions donc pas la moindre excuse, et pas la moindre considération. Face donc au chef de la réglementation qui n'en finissait plus de répéter à quel point il faisait bien son travail et qu'il n'était pas responsable des frasques de Madame G. (ben, voyons!) je me suis contentée d'ajouter cynique: « C'est vrai, vous faites très bien votre travail!... Donc, revenons- en à la lettre, expliquez moi bien ce que je dois faire... » Il voulait nous renvoyer chez nous et nous la faire envoyer par mail (les bureaux étaient censés être fermés et le monsieur avait fini de faire son travail depuis 18H00). J'ai dis : « Ah ! Non, vous êtes là, vous allez faire bien votre travail, et vous allez me dire tout de suite ce qu'il faut demander dans le courrier, parce qu'on va le faire tout de suite!... ». Pris de court et soupirant, il m'indiquait où m'asseoir et j'écrivis une lettre à l'intention du maire. Nous aurions la réponse quatre jours après ! (Les bureaux de mairie ne fonctionnent pas le week-end. Et le vendredi, le Monsieur devait sans doute être surbooké, c'est vrai, qu'il m'avait rappelé à quel point les réglementations étaient de plus en plus nombreuses, alors évidemment, en tant que chef de la réglementation, il ne devait pas manquer de boulot).
Alors, c'est vrai que le courage vient à manquer. Qu'après trois jours de guerres incessantes pour lutter contre le vent et puis la pluie, que dis-je le déluge, après des jours et des jours de fatigue accumulée, de lutte contre le chef de la réglementation pour pouvoir distribuer à la criée et en musique nos dépliants, de désœuvrement lié « au vent » que je me suis pris en pleine face à « Cultura » face à un public totalement indifférent, voir ennuyé, ( invitée par le gérant de Cultura, je chantais la dernière chanson de notre spectacle dans le cadre de nos démarchages en communication), tout ces efforts pour pouvoir juste « jouer », quand nous constations déçus, que nous avions à la première 6 personnes, à la deuxième 8 personnes, et la troisième 0, la quatrième annulée car le vent avait soufflé tout le matin pour s'arrêter à 18HOO, heureusement nous n'avions que 10 personnes... C'est vrai, je commençais à prendre la pleine conscience de ce que signifiait le mot « courage », car c'est souvent quand on n'en n'a plus que l'on sait la rareté d'une chose, et le courage, il faut bien le dire, vient à manquer, et cela n'est pas compensé par le public, qui lui, n'augmente pas !

Après un quart d'heure de défoulement familial, on se prépare au prochain orage...
Bref, dans « le vent » de Carcassonne et alors que ma saison ressemblait à une succession de petites apocalypses, je me disais que, décidément, la seule chose apprise cette saison aura été l'humidité... Euh ! Pardon, je voulais dire l'humilité...  

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