Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..
Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.
Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!
mardi 8 novembre 2016
Captain pas fantastic... point de vue sur l'éducation...
J'ai donc vu le film « Captain
Fantastic »...
Pourquoi parler d'un film que je n'ai
pas apprécié ? Parce qu'il met en avant une expérience
singulière que nous avons nous-même vécue, mais certainement pas
de la même manière. Le film me donne donc l'occasion de parler de ces choix singuliers et de nos motivations ! Le film, bourré de
clichés véhicule malheureusement la plupart des croyances fausses
mais répandues sur ces choix. A travers mon article, j'espère
dévisser ces clichés, et dénoncer cette attitude soi-disant
« ouverte », vous posant inlassablement les mêmes
questions dont les réponses sont pourtant conditionnées par les
mêmes croyances.
J'ai regardé le film en famille :
c'est-à-dire avec Xavier mon compagnon (46 ans), Mado (14 ans),
Gaspard (13 ans), Erwenn (8 ans), moi-même Ysa (47 ans), Ysaline (17
ans l'a visionné de son côté)... Je l'ai visionné à partir de
notre propre expérience de parents ayant instruit nos enfants.
Notre expérience s’étale sur une
période de 6 ans, et couvre les programmes allant du C.P jusqu 'au
brevet. Certains de nos enfants ont vécu l'expérience scolaire dès
la maternelle, soit longue (l'aînée), soit très courte (la
seconde). L'instruction à la maison, plus qu'un choix, fût une
évidence s'imposant à nous, dès le moment ou la seconde de nos
enfants nous le demanda, elle était, au moment de sa demande dans un
état de souffrance incontestable. Partant de là, notre vie à pris
une direction inattendue puisque deux de nos enfants avaient été
retirés de l'école et la troisième(l'aînée) terminait son année
avant de vivre aussi cette expérience. Le dernier n'a pas vécu la
maternelle.
Aujourd'hui et depuis deux ans, nos
enfants sont tous scolarisés : les deux plus grandes en ont
fait la demande, le troisième a suivi, le quatrième n'a pas eu le
choix. Nous (parents) ne pouvions assumer l'école à la maison pour
certains, et pas pour les autres, le dernier allait donc se retrouver
seul et sans instruction, ce que nous refusions. C'est pourtant un
choix possible : certains pratiquent ce que l'on appelle le
no-schooling (l'enfant s'instruit par lui-même) Même si ce choix
est des plus risqué puisque votre enfant sera évalué par
l'éducation nationale. Pour rappel, la loi française indique que
« l'instruction est obligatoire à partir de 6 ans », si
vous avez fait le choix d'instruire votre enfant vous-même, vous
devez le signaler en début d'année scolaire à la mairie de votre
domicile et à l'éducation nationale, vous devrez vous soumettre à
un contrôle de l'éducation nationale une fois par an, ce contrôle
a pour but de vérifier les niveaux de compétences de votre enfant
en regard des programmes de l'éducation nationale et en rapport avec
les socles de compétences définis par cette dernière. L'école
n'est donc, ici en France, pas obligatoire, c'est bien l'instruction
qui l'est.
Mis à part mon compagnon et ma fille
aînée (17 ans) qui ont un avis nuancé sur le film, les quatre
autres avis étaient moins nuancés ou sans appel et/ou avis.
Étant évidemment curieuse de l'avis
de mes enfants, je les ai interrogés avant d'écrire cet article. Je
commencerai celui-ci par les paroles de mes enfants. Les questions
simples étaient avez-vous aimé ce film ? Si oui, pourquoi ?
Si non, avez-vous quand même des remarques à faire sur le sujet ?
(Je veillai à ne pas leurs donner mon avis, afin d'éviter de les
influencer).
La réponse la plus drôle vint du plus
jeune :
- « Oui, j'ai aimé !!!
Je voudrais bien avoir des vraies armes en cadeau pour mon prochain
anniversaire ! Et aussi, ça doit être super chouette de voler
dans les grands magasins ! ».
Je ris, et pensai que le film
fournissait une gamme intéressante de possibilités futures aux
enfants qui, comme le mien, aimaient les armes, les chips, les
bonbons... Je souris, car j'imaginais sans peine les parents qui
auraient été ravis par les propos de mon fils, j'avais pu en
rencontrer qui encourageaient ce type d'idées et/ou d'actions,
justifiant leurs discours auprès de leurs enfants, par la nécessité
de lutter ou de se servir dans ce système, qui lui-même, était
suffisamment violent et escroc. Réduisant leurs enfants, et là
c'est personnel, à la marginalité puisque les situant
« en-dehors » d'un système. Je précise bien-sûr, que
mon propos ne juge pas « la marginalité » puisque cette
dernière étant soit « subie », soit « choisie »,
elle ne peut avoir un sens que « choisie ». Hors, je
prétends qu'il est violent d'imposer ce choix parental à l'enfant,
dès lors, que ce choix adulte engage un enfant pourtant encore en
devenir. La notion même de choix dans ce cas-ci devient bancale,
puisque le choix suppose plusieurs options, alors que la
marginalité est une voie unique : « celle du dehors ».
Je me tournai vers mon second fils (12
ans) :
- « J'ai trouvé ça
chiant..., J'ai trouvé ce film absurde » (Il avait en effet
quitté le film en cours pour aller s'allonger plus loin.)
- « Tu n'as rien de plus à
dire ? Même sur ce que tu as vu ? »
-« Ben, non... Chiant, c'est
chiant : Y'a rien à dire quand c'est chiant ! »
Bon, je pensai : « Celui-là
au moins ne fera pas surchauffer mes neurones ». J'adore
parfois, les avis simples et cashs, ils partent du cœur, n'obligent
pas forcément à se mettre dans la posture (souvent fausse) d'avoir
fait « bac +5 avec mention » ou d'être « HP »
(évaluation, très à la mode par ailleurs comme bien d'autres, dans
le milieu scolaire) pour répondre et se faire comprendre. Merci
Gaspard ! Ayons du cœur, (ça n'empêche pas les neurones
de fonctionner!)
Ensuite vint le tour de ma fille (14
ans) qui soupirant me dit (propos retranscrits tels qu'elle me les a
relatés) :
-«Ce film est super chiant... Y'a
pas assez d'action... Le père, j'aime pas sa façon de vivre,
comment il éduque ses enfants : c'est trop. Quand son fils
s'est fait mal, il n'appelle pas les urgences (un des garçons se
fait mal au cours d'une séance d'escalade, guidée par le père).
Le père leurs fait faire des exercices que je n'aime pas !
Personnellement, j'ai vécu l'école à la maison, et je n'ai pas
du tout vécu ça. A l'école (comparant son expérience
passée avec son expérience présente) je trouve qu'on apprend des
choses sans les comprendre, et on comprend pas parce qu'on ne nous
en donne pas le temps. Dans le film, je suis d'accord avec la tante
et en même temps pas, (elle fait référence à une scène, à
table, où le beau-frère tente de répondre aux enfants de sa
belle-sœur sur les causes de la mort de leur tante, morte par
suicide. Le repas tourne mal car s'engagent plusieurs remarques
suite aux réponses que la belle-sœur juge trop explicites et trop
dures « pour des enfants ». La scène se conclut
par le départ de la belle-sœur très énervée qui quitte la
table, et les enfants des uns et des autres qui se regardent
perplexes), si la femme ne peut pas parler des circonstances de la
mort (suicide), elle aurait pu dire : « Je n'ai
pas envie de t'en parler, c'est trop dur pour moi. », parce
que moi, je suis d'accord qu'il en parle. Je ne suis pas d'accord
(toujours sur cette scène à table) qu'il fasse boire du vin à
ses enfants. Quand l'enfant pose des questions à son père sur la
sexualité, le père dit trop de choses (l'enfant en question a
entre 5 ou 7 ans je dirais). Je n'ai pas aimé la scène où le
papa et sa fille humilient les cousins ( les deux enfants de la
belle-sœur sont interrogés par leur oncle qui cherchent à
comparer et démontrer la supériorité de ses enseignements en
interrogeant ensuite sa propre fille sur la même question), ses
façons de faire sont malsaines et déplacées. Le grand-père
(père de la femme décédée et en désaccord sur les choix et
méthodes de son gendre, fait obstacle à leurs présences le jour
de l'enterrement prévu) n'avait pas le droit de refuser qu'ils
soient aux funérailles de leur mère. En plus, il doit respecter
les dernières volontés de sa fille : l'incinération. Et
cela, même s' il n'aime pas son gendre et ses méthodes.(Revenant
à son vécu actuel, elle continue) : Il y a des enfants à la
maison qui sont pas très matures et pas très intelligents, mais
au collège, je trouve qu'il y a beaucoup plus d'enfants dans ce
cas là. Dans les deux cas (maison ou école), c'est du aux
parents, mais l'école ne rend pas les enfants plus matures et plus
intelligents. Les enfants sont plus mûrs parce que les parents les
font voyager, ils parlent avec leurs enfants, ils sont
bienveillants, et on sent qu'ils les aiment très fort (elle appuie
son récit sur des observations faites par elle chez des amies,
l'une est instruite à l'école, l'autre est instruite à la
maison). A l'école on sépare les enfants et alors les plus grands
se sentent plus fort et ont tendance à venir « chercher »
les plus jeunes (c'est beaucoup moins fréquent lors de
l'instruction à la maison, les enfants mélangés ont une tendance
naturelle à s'auto-gérer, et cela sans violence et sans
intervention extérieure), à la maison, les enfants de tout les
âges sont mélangés, ils apprennent mieux à vivre ensemble. Le
professeur n'est pas un éducateur, il est juste là pour donner de
l'instruction à l'enfant : c'est les parents qui doivent
éduquer l'enfant. Mais aujourd'hui, face aux enfants, ils ignorent
les problèmes ou font des remarques qui ne servent à rien. Ils
devraient organiser des ateliers de réflexion avec les enfants sur
ces questions (violence, vie ensemble, respect), mais normalement,
ce sont les parents qui devraient se charger de l'éducation de
leurs enfants.
Ouuuuuuuh ! Y'en avait des
choses dans les « retours » de Mado, alors celle-là,
toujours aussi surprenante et toujours en difficulté réelle à
l'école (certains m'avaient déjà suggérer à plusieurs reprises
de lui faire passer une batterie de tests pour voir si elle n'était
pas « HP », ou « Dyslexique », ou afin de vérifier une « Dysorthographie », ou je ne sais pas quoi encore, du
moment qu'on pourrait enfin la « classer » dans quelque
chose...) pour moi, celle-là, petite perle baroque, restait un
mystère inclassable, et donc difficilement « évaluable »...
Fallait-il, par ailleurs toujours évaluer les enfants, les réduisant
ensuite souvent à leurs évaluations. Car, une fois de plus, je
constatais que les évaluations avaient l'avantage de rassurer les
adultes, mais jamais les enfants. Les enfants, même sans difficulté,
et donc évalués « bon élèves », ne s'employaient
souvent plus qu'à viser leurs bonnes évaluations. Chaque acteur
impliqué dans ce « jeu scolaire » ennuyeux, passait à
côté des missions même de l'école : éveiller aux différents
savoirs, amener l'enfant à interroger le monde et à trouver ses
propres réponses, appréhender la réalité de ce monde complexe
afin de pouvoir y prendre une place dans le respect et dans la
conscience de notre interdépendance. Pauvre Mado : c'était pas
« gagné » pour elle (puisque l'éducation se réduisait
encore à gagner ou à perdre , tout comme la vie y était
réduite de plus en plus fréquemment d'ailleurs!)
Puis j'interrogeai mon compagnon
Xavier, conciliant (ça m'énerve parfois la conciliation!) il dit :
- « J'ai trouvé le film
intéressant, j'ai regardé ce film avec mon propre vécu... Le film
met en évidence le fait que ce n'est pas facile d'être « en
marge », faire « en-dehors » du monde, et
certainement avec des enfants qui, eux, ne choisissent pas. Les
choix des parents, ici, sont très extrêmes. Malgré cela, je
trouve que le film met en évidence des modes de penser qu'ils (les
enfants) n'auraient pas eu s'ils avaient eu un parcours plus
« normal » : ils sont plus « authentiques »,
ils sont plus « vrais », plus « purs », moins
« pollués ». Tout en ayant une envie de découvrir le
monde qui les entoure et une envie de faire « avec » et
non pas « sans ». On sent aussi que malgré les épreuves
et les crises, cette famille est une « vraie » famille,
en ce sens que ses membres en sont solidaires, ils s'aiment
profondément, ils se respectent, au point de prendre de vrais
risques afin de respecter les volontés d'un des leurs.
Je terminai par interroger Ysaline,
plus tard, lors d'un repas à table :
- « Ouai... Ben, moi, ce
film m'énerve... J'ai été partagée... C'était 50-50 : Une
part de moi a aimé le film dans sa construction, j'ai trouvé le
film bien construit et bien joué, mais je n'ai absolument pas aimé
le propos, ni la fin du film, comme par hasard, le type remet ses
enfants à l'école (et là, tout va bien pour tout le monde), le
bus est à l'arrêt et on comprend qu'ils ne partiront plus (le bus
est transformé en poulailler). C'est un peu facile comme
conclusion ! Bon, ben... Je peux quitter la table, j'ai plein
de taf pour l'école ? !!!... »
Voilà... Alors moi... Je n'ai donc pas
aimé ce film !!! Pourquoi le dire aussi naïvement, avant de me
lancer dans une analyse personnelle? Parce que j'aime cette fraîcheur
qui consiste à penser qu'une œuvre vous touche d'abord le cœur
avant de susciter les neurones, et dans ce cas précis, elle n'a pas
réussi à me toucher, pas la moindre petite émotion n'est venu
apaiser mes neurones irrités. D'aucun m'avait dit que c'était un
film qui allait alimenter des discussions riches sur la mort, la vie,
l'éducation, la philosophie, la religion, bref, on m'avait un peu
vendu le film comme LE support qui offrirait une occasion, trop rare,
de discuter avec les enfants. Ben..., ici, ce ne fût pas le cas...
Mis à part Mado et Xavier, qui suite à mon insistance, me firent
l'honneur de développer un peu leurs points de vue, les autres n'en
avaient pas grand-chose à dire, voir même, ne se sentaient pas
concernés.
Outre les « clichés »
véhiculés dans le film, je me suis demandé assez vite quelle était
l'intention du réalisateur. Comme me fit remarquer Xavier, je
pouvais aller chercher cette information via le net. Je ne l'ai pas
fait. Je fais partie des artistes qui pensent que si ce dernier a des
dons multiples assortis de la liberté de s'exprimer, et s'il n'a pas
l'intention de n'utiliser ses dons qu'aux seules fins de divertir (ce
qui semble être le cas ici), il se doit d'être clair dans ses
objectifs. Je me refuse donc, de lire, de voir, toutes les œuvres
et/ou la biographie complète d'un artiste, pour tenter de comprendre
son œuvre. Je comprends ou je ne comprends pas (dans le sens de :
je « prends avec » ou je « ne prend pas avec »).
Je suis pour l'art sans mode d'emploi. J'adopte donc assez mal la
posture qui consiste pour certains à renvoyer sans cesse à leurs
nombreuses références pour vous expliquez ce que vous semblez ne
pas avoir compris (pauvre de vous) !
Peut-être me faut-il commencer par
résumer succinctement le film, pour ceux, qui ne l'auraient pas vu,
mais que les questions qu'il aborde intéressent.
Il s'agit d'un père et d'une mère
qui, en désaccord avec le système qui les entoure, décident de se
retirer dans les bois pour y vivre avec leurs enfants. Ce choix
implique forcément d'autres choix et des méthodes particulières
d'éducation de leurs enfants. Ici, leur maison est vraisemblablement
une cabane auto-construite, l'apport de nourriture nécessaire se
fait par la culture et la récolte réalisées par la famille
entière, le bois est coupé et stocké par la famille, la chasse est
initiée par le père et mise en pratique par les enfants, outre des
mises en pratique de disciplines intellectuelles (choix faits par le
père et/ou la mère) et apprises par le biais de la lecture, les
enfants se soumettent à des exercices physiques intensifs et
réguliers pour maintenir leur condition (escalade, courses dans les
bois, gymnastique en relation avec la respiration, chasse,
combats...), les veillées au coin du feu sont des instants choisis
(par le père et/ou la mère) pour débattre sur les lectures
entamées, chanter ou pratiquer un instrument de musique,... Tout cet
apprentissage est complété par la pratique de langues étrangères
multiples. La mère est très absente, et pour cause, on comprend
vite que celle-ci est gravement malade, placée dans une structure
hospitalière qui ne saura empêcher son décès (fragile
psychologiquement elle finit par se donner la mort). Le grand-père
des enfants, qui a toujours été en désaccord avec les méthodes de
son gendre (et de sa fille, même s'il ne le dit pas), interdit à
son gendre (et donc à ses petits enfants) d’assister aux
funérailles organisées après le décès (funérailles catholiques
conformes aux croyances du grand-père). Le gendre décide de passer
outre, et il se rend avec les enfants, aux funérailles... le voyage
qui s'effectue en bus est émaillé d'incidents qui révèlent
l'inadaptation des enfants à ce monde extérieur dont ils furent
préservés (coupés) jusque là. Le but de la famille, sauver cette
« épouse » et «mère » de ces funérailles
(catholiques) pour lui offrir une cérémonie en conformité avec ses
dernières volontés (être incinérer, « voir » les
siens danser et chanter, « voir » ses cendres jetées
dans la cuvette d'un W.C). La mission réussie, la famille rentre
chez elle, au complet, et, le père ayant pris conscience de sa
dangerosité, par les multiples incidents survenus au cours du
périple et par le biais d'un radicalisme ayant induit une
inadaptation inquiétante pour ses enfants, décide de remettre les
enfants à l'école. Le bus est désormais transformé en poulailler,
les enfants déjeunent paisiblement autour de la table avant que le
bus scolaire ne vienne les chercher. Fin du film.
Bon inutile de préciser que le père
est un « baba, hippie » dont le seul costume est
forcément rouge vif assorti de sa seule chemise orange à fleurs
d'un goût des plus discutable (moi j'adore, j'aimerais le même !).
Sa maison est forcément au-milieu des bois et auto-construite, il a
forcément un goût prononcé pour Chomsky (intellectuel linguiste et
anarchiste controversé pour ses points de vue politiques) dont il
célèbre chaque année l'anniversaire quand d'autres préfèrent
fêter « un grand barbu qui n'existe pas, tel que le père
Noël », il encourage le port des armes ( nécessité
d'auto-défense), et encourage le « penser par soi-même »,
« survivre sans attendre d'aide » tout en conditionnant
ses enfants à surtout « penser comme lui » et « voler
dans les grands magasins pour survivre ». Les grands-parents et
la tante des enfants sont forcément « bourgeois » plutôt
« riches ou très aisés », ils sont forcément
« catholiques » et « bien-pensants », ne
parlent pas de « suicide » ni de « sexualité »
devant les enfants, les enfants de la tante, qui sont eux scolarisés,
sont forcément « stupides tant au niveau de leurs
connaissances générales que de leurs comportements ». Les
femmes (la mère et l'épouse du père des enfants non-scolarisés,
et, la grand-mère) sont forcément « absentes », l'une
étant morte par suicide parce que « fragile
psychologiquement », et l'autre est là, mais insignifiante
tant elle est impuissante à développer un point de vue personnel
sous la coupe d'un grand-père « patriarcal » autant
qu'un gendre qui l'est aussi, reste la tante qui est
forcément « hystérique » incapable d'exprimer un point
de vue fort sans verser dans l'émotion qui la submerge. Tout ces
personnages évoluent dans un système globalement hyper-capitaliste,
ou les jardins immenses sont arrosés automatiquement, les véhicules
sont gros confortables et énergivores, les rues sont emplies de Mac
Do et de snacks où on « mal bouffe », où l'on vend des
armes aussi facilement que du coca, tout en cultivant une attitude
générale de « pudibonderie » et de « bondieuserie ».
L'ensemble est sans nuance et on peut assez vite, comme moi, être
irritée de voir alors de tels clichés jeter à notre face de
spectateur, aux fins, soi-disant, de nous faire réfléchir sur,
entre autre, l'éducation?! (Mais était-ce l'objectif de ce
réalisateur?)
Un ami à moi me disait que le film
avait au moins le mérite de montrer que ce choix de vie est
possible. Même si cela est indéniable, le fait est, que ce choix
est possible parce que légal ici en France, dans d'autres pays ce
n'est pas le cas. Ce choix reste, dans bien des cas, très discuté
et sensible, suffisamment pour que les personnes qui s'emparent de ce
type de sujet soit quelque peu attentives à une certaine objectivité
surtout s'ils ont pour objectif d'informer un public.
Car dans le film, la chose suivante est
très claire : les enfants des parents ayant fait ce choix
seront forcément « des encyclopédies sur pattes »
n'ayant rien à envier aux enfants scolarisés « débiles »,
même si, ils seront pourtant « asociaux » et
« inadaptés ».
C'est la sacro-sainte sociabilisation
dont on nous rabâche régulièrement les oreilles lorsque curieux
les gens viennent vous posez des questions. Ces questions sont
toujours les-mêmes et teintées de la même admiration (vos enfants
sont plus malins) et de la même angoisse (vos enfants sont
asociaux) :
-« Est-ce que vos enfants ne
souffrent pas ?"
-« Est-ce que vos enfants ont
des amis ? »
-« Est-ce que vous êtes
contrôlés par le système ? »
C'est encore pire lorsqu'un ami parle
de votre expérience personnelle à d'autres en votre absence, là,
ce ne sont plus les questions qui fusent, mais la même « question
affirmation » qui revient :
-« Comment ces parents
peuvent-ils imposer leurs choix à leurs enfants ! »
(niant qu'eux-mêmes conditionnent leurs enfants, révélant par là,
leur inquiétante inconscience !)
Ce film, malheureusement, ne peut
qu'alimenter ce genre d' «affirmations » inconscientes. Le
père radical et maltraitant (c'est évident), fait amande honorable
en mettant ses enfants à l'école. Par un tour de passe passe
maladroit, le réalisateur conforte le spectateur dans ses choix
(majoritairement les gens mettent leurs enfants à l'école, ce qui
est un choix, en tout cas, ici en France). De plus, il ne souligne à
aucun moment que : l'éducation d'un enfant est toujours
conditionnée par l'histoire, la géographie, la culture, le lieu de
vie, les croyances, l'environnement de l'enfant, que ce dernier soit
scolarisé ou non, et cela certainement dans les pays où les parents
ont le choix (même si souvent ils se plaignent de ne pas l'avoir
sous différents prétextes : ils sont seuls, ils sont pauvres,
ils n'ont pas la patience, ils s'inquiètent de la sociabilisation de
leurs enfants qui pensent-ils passe obligatoirement par l'école...).
Faut-il
rappeler que l'école est un système mis en place pour favoriser
l'instruction des enfants quelques soient leurs histoires, leurs
géographies, leurs cultures, leurs lieux de vie, leurs croyances,
leurs environnements... Il est par ailleurs intéressant de constater
à quel point nous lui avons délégué un pouvoir toujours plus
grand : il n'y a pas si longtemps, l'école choisissait ses
enseignements sous l'égide de « l'instruction
nationale », programmes choisis en fonction donc d'un
gouvernement national, ensuite, les enseignements prodigués l'ont
été sous l'égide de « l'éducation
nationale », programmes toujours choisis par un gouvernement
national. Les programmes, assortis de leurs niveaux de compétences
sont donc toujours arbitraires et fixés par le gouvernement du pays
qui, d'autorité, choisit, priorités sont données dans les contenus
qui portent bien sûr les « valeurs » du pays et du
moment. Ainsi ne faut-il plus s'étonner aujourd’hui en France,
lorsque certains enfants déclarent comme une évidence : « J'ai
choisi « latin » parce que ça fait bien sur un carnet
scolaire ! » (11 ans). Ces enfants envisagent l'effet
produit sur un recruteur lors d'un entretien d'embauche ou encore la
facilité à faire une « haute école » grâce à leurs
évaluations brillantes ou à des choix estimés prestigieux, même
si, les disciplines choisies ne les intéressent pas, cela en
parfaite cohérence avec ce que leurs ont transmis ce système (ici,
français) fier du « bac », surtout le « S »
et qui n'interroge jamais les fondements mêmes de ses enseignements
et de ses méthodes). Ainsi, les enfants instruits sont toujours
façonnés par les valeurs qui sous-tendent les choix
d'enseignements, c'est encore plus vrai, lorsque l'école prétend
(pour s'en plaindre ensuite souvent) qu'elle a pour vocation non pas
seulement d'instruire mais aussi d'éduquer ! L'argument du
professeur, face au parent dubitatif, étant alors : - « Les
parents sont démissionnaires ! » voir « débiles »
même si ce jugement là est rarement avoué ouvertement. Cette
attitude assez confortable, consiste à se dégager des
responsabilités sur les parents « absents » et/ou
« défaillants » tout en voulant pourtant continuer à
« éduquer » les enfants... Paradoxe dont on n'est pas
sorti encore, tant il est vrai que les parents, eux, sont de plus en
plus occupés à « gagner » leur vie, à « consommer »
pour participer à l'effort collectif de « croissance »,
en parfaite adéquation avec ce qu'on leurs a enseigné, et cela,
qu'on soit ouvrier maçon, ou cadre, ou coiffeur, ou analphabète
(ici en France) ayant fuit le pays d'origine... De plus en plus de
gens pourtant se sentent aliénés à ce système (travail,
rentabilité, horaires) sans trouver de solution pour vivre mieux.
L'école est en crise et le monde l'est aussi. L'école, pourtant à
la source, devrait pouvoir apporter des solutions en amenant
réellement ces « humains futurs adultes » à questionner
ce monde pour faire émerger des solutions afin de le sauvegarder
d'une déroute en marche et faire face aux crises majeures qui
surviennent et surviendront... Malheureusement, elle reste un pâle
reflet de cette triste réalité : nous avons tout « vendu ». L'école, pas plus que la famille, n'échappe aisément à cette
réduction.
Il
est évident pour moi, que l'éducateur reste avant tout le parent de
l'enfant. L'école n'a pas pour vocation d'éduquer les enfants, car
cela conduit forcément à des dérives de type « sectaires »,
que la plupart reconnaissent souvent chez les « autres »
(ici, dans le film, la plupart reconnaissent les dérives d'un père
trop radical ou encore chacun s'émeut voyant de façon simpliste dans les écoles
coraniques la source indiscutable du terrorisme, ainsi l'école
française martèle t-elle sa « laïcité » comme pour
combattre un conditionnement par un autre). Mais les phénomènes de
conditionnement sont partout à l’œuvre en ce qui concerne
l'éducation, on ne peut y « échapper », on ne peut
qu'en être « conscient ». Ainsi, lorsque mes enfants,
aujourd'hui instruits à l'école, reviennent avec des expériences,
que j'estime douteuses, car elle « éduquent » mes
enfants dans des conditionnements contraires à nos valeurs,
j'interviens et me déplace pour tenter de rencontrer le professeur.
Lorsque j'en parle, les réactions des parents sont souvent les
mêmes : - « Mais ma pauvre, tu planes !
L'école c'est comme ça que ça fonctionne et on n'y peut rien ! »
ou encore, « Peut-être que tes enfants ont des difficultés
parce que précisément ils n'ont pas connu l'école », ou
encore, « Il faudrait peut-être faire passer des tests à
... », ou encore « Il faudrait qu'ils s'habituent, le
monde est violent ! »... Les professeurs rencontrés sont
souvent ouverts à notre discours, voir même, ils l'applaudissent,
tout en expliquant leur propre impuissance à changer quoi que ce
soit. Je pars du principe que mes enfants sont comme tout les autres
enfants, ils sont venus au monde et donc, rien qu'à ce titre, ils
doivent être initiés au monde, (c'est en cela que « le père »
dans le film fait une erreur magistrale : il les isole
volontairement), ils sont singuliers (confusion fréquemment faite
avec marginalité) comme chacun l'est d'ailleurs, ils ont une place
dans ce monde dès lors qu'ils y sont nés, les enseignants et
adultes autour d'eux sont là pour les aider à comprendre ce fait et
à occuper leur place parmi les autres. La violence très présente à
l'école ne l'est pas forcément moins dans les familles, et les
radicalismes reconnus sont encore et toujours ceux que l'on reconnaît
et/ou que l'on juge trop souvent chez l'autre mais rarement chez
soi ! (dans le film le père pourtant radical s'excuse d'avoir
indirectement mais clairement mis en cause les méthodes éducatives
de sa belle-sœur, mais la belle-sœur ne s'excuse pas!!!), hors...
La
plupart des gens rencontrés sur notre route, alors que nous vivions
nomades, étaient « ouverts et curieux » et pourtant
posaient des questions sous tendues par des jugements similaires dont
ils n'avaient pas forcément consciences. La plupart des gens croisés
aujourd'hui, alors que mes enfants vivent la scolarité et une vie en
maison, tiennent des propos teintés des mêmes conditionnements
non-conscients. Ainsi, ma fille aînée parlant de sa déception
autour du film, aurait préféré que cet homme reste fidèle à ses
choix malgré un radicalisme dangereux, sans doute, pour guérir un
peu des innombrables « questions-affirmations » subies
par les gens qui n'ont pas vécu l'expérience et qui croient savoir
ce que vous vivez. Mado ma seconde, s'est sentie forcée d'affirmer,
entre autre, qu'elle n'avait pas vécu ça comme ça, et que les
enfants à l'école ou à la maison ne pouvaient pas être « jugés »,
« débiles » ou « intelligents », que
l'immaturité était toujours liée à une absence et ou une
défaillance (d'abord de la responsabilité parentale). J'ajoute
qu'il est de plus en plus fréquent de voir des parents fiers de
leurs enfants les « évalués » sans cesse, et cela même,
sans conscience, et parfois en faisant la comparaison avec d'autres,
ce qui est d'autant plus dommageable. J'ajoute, par ailleurs, pour
remettre les pendules à l'heure, que les enfants du film sont en
tout point irréels : je n'ai jamais vu d'enfants semblablement
doués pour autant de choses à la fois, et même les autistes (dont
on admire souvent les talents extraordinaires) ne peuvent développer
autant de compétences. Ces enfants sont juste insupportablement
parfais, et même les petites « crisouilles » qu'ils font
sont étonnement sages. Ceux qui ont des doutes, peuvent venir chez
moi, ils verront ce qu'est une « crise » !
Beaucoup
d'entre nous, au prétexte d'aimer, poussent les leurs à se
comparer, se valoriser, s'évaluer, se juger, mais beaucoup d'entre
nous n'ont pas eux-mêmes appris, à ne pas se comparer, à ne pas se
valoriser, à ne pas s'évaluer, à ne pas se juger mais à juste
s'aimer... L'enfant souvent grandit alors avec le sentiment assimilé
de n'être pas libre, ou pire, de n'être aimé que lorsqu'il a pu
montrer sa valeur (valeur jugée à hauteur des nôtres). Le premier
apprentissage du parent est sans doute d'apprendre à se connaître
avant de jouer à « transmettre ». Toute personne qui a
choisi pour chemin de vie de « transmettre » devrait
s'interroger sur les fondements de ce qu'il transmet. C'est assez
rare !
C'est ainsi que les aptitudes
naturelles des enfants : émerveillement, curiosité, envie de
comprendre, sont bien vite « étouffées » voir
« jugées » comme étant « malsaines », ou
« impertinentes » ou « impolies », ou « mal
canalisées ». C'est par là, que l’éducation glisse peu à
peu vers le dressage. C'est sans doute, partant de ces constats que
mon compagnon soulignait dans le film que les enfants lui semblaient
« plus authentiques », « plus vrais », « plus
purs », « moins pollués ».
Enfin, pour moi, le film ne fût même
pas l'occasion de parler de la mort ou de tout autre sujet jugé
profond, mais il est vrai, que nous parlons régulièrement avec nos
enfants lorsqu'ils nous posent d'eux-mêmes des questions. J'ai pu
observer que les enfants vous posent toujours les questions
auxquelles ils sont prêts à recevoir des réponses (à ce phénomène
aucun programme scolaire ne peut répondre puisqu'il s'agit d'être
disponible et d'accorder le temps nécessaire à chacun pour
qu'émergent les questions).
Je terminerai par la dernière
« impertinence » de mon plus jeune fils à table, le moins éduqué, (celui qui veut des vrais armes et qui aimerait voler dans les grands magasins) qui
répondait à son grand-père qui soupirant, lui soulignait sa
mauvaise tenue à table :
- « Erwenn... Sais-tu
arrêter de jouer ? »
- « Et toi, papy, sais-tu
arrêter de travailler ? »
Le grand-père souriant, du convenir
qu'il avait les pires difficultés à « faire ça » !...
Oui, nous manquons d'émerveillement ,
nous apprenons trop tôt à travailler et cela sans « jouer »,
y aurait-il là un lien avec le fait que beaucoup d’entre- nous ont
été à l'école ? Si nous avons fait ce choix là, mon mari et
moi, c'est parce que, tout les deux, nous pensions et nous pensons
toujours que la vie est une aventure, que l'avenir est incertain et
le passé révolu, que par nos actions présentes et nos choix
conscients nous favorisons l'émergence du bien-être, que par
l'émergence de notre propre bien-être nous favorisons le bien-être
de ceux qui nous entourent, que ce faisant nous agissons pour
incarner un monde plus juste plutôt que de nous plaindre de ce qu'il
a d'injuste, et ainsi, nous préservons ces qualités indispensables
à la joie de vivre : l'émerveillement et l'attention (le
contraire de la concentration apprise dès le plus jeune âge à
l'école).
Si ce film ne m'a pas plu il fût au
moins une belle occasion de parler ici, d'un sujet qui me tient
toujours à cœur. On leurs dit souvent : « un jour tu
seras grand... », mais alors que l'on s'estime devenu
« grand », incapable d'envisager le monde comme un
enfant, on n' interroge plus, on ne s'émerveille plus, on ne rit
plus. Alors on s'aperçoit parfois que notre esprit se pensant « grand » s'est pourtant condamné à "l'étroit".
A la suite de mon propos, source d'inspiration, Pierre Rabhi.
«Ma vie vaut plus qu’un salaire»
Poète, philosophe et écrivain français d’origine algérienne, Pierre Rabhi appelle au travers de ses conférences et de ses livres à un réveil des consciences. Selon lui, il existe pour notre société une autre voie que celle du capitalisme et du consumérisme: celle vers un mode de vie plus simple et plus respectueux de la nature.
Pour beaucoup, vous êtes, sinon un gourou, du moins un maître à penser. En avez-vous conscience?
Je ne l’ignore pas, mais je peux vous assurer que telle n’est absolument pas mon intention. Simplement, j’ai vécu une démarche concrète qui a débouché sur une philosophie de vie. Il se fait qu’elle interpelle et qu’elle convient à un nombre grandissant de personnes qui cherchent d’autres voies que le capitalisme et le consumérisme. Je m’en réjouis.
Pensez-vous que ce soit cette base concrète qui fait la force de votre message?
Oui. A la base de ma démarche, il y a une expérience, une transgression par rapport à la société que l’on voulait m’imposer. Un retour à la terre et une agriculture écologique. Des interventions dans les pays du Sud. Tout cela s’est construit à partir d’une expérience concrète.
Une révolte, aussi?
Absolument. Je me suis retrouvé en usine pour gagner ma croûte. Et cela m’a immédiatement été insupportable. Ce qui me paraît important pour les gens, c’est la remise en question d’un modèle qui crée les conditions cadres de l’aliénation humaine. Nous sommes piégés dans un modèle de société et c’est ce dernier que je récuse totalement.
Pourquoi?
Parce qu’il est totalement subordonné à un instinct humain qui est celui de la prédation et de l’accumulation. Au lieu de considérer notre planète magnifique comme une oasis perdue dans un désert sidéral, nous la percevons comme un gisement de ressources à épuiser jusqu’au dernier poisson et à la dernière goutte d’énergie fossile. Je considère pour ma part que notre terre est sacrée. Et que nous n’avons pas à la sacrifier à nos appétits illimités qui produisent à la fois des boulimiques qui en ont toujours plus et des enfants qui n’ont rien et qui meurent de faim.
En quoi s’agit-il d’une aliénation?
Parce que tout est organisé pour que l’on ne perçoive pas qu’un autre monde est possible. Cet autre possible doit d’abord s’affranchir de la logique surdominante qui dispose d’immenses moyens de persuasion. Voilà où se situe ma modeste tentative, au milieu de beaucoup d’autres. Je travaillais dans la région parisienne. Et je croyais que je devais, pour survivre, troquer ma vie contre un salaire. Je trouvais que c’était chèrement payé. Ma vie vaut plus qu’un salaire. Et je ne veux pas être tenu en laisse sous prétexte que je dois avoir ma gamelle. En plus, ce fonctionnement aliénant ne produit à grande échelle ni partage ni amour. Mais renforce l’avidité d’une petite minorité sur le dos de la majorité des humains. Les inégalités peuvent s’exprimer de plusieurs façons. La mienne, ça a été ce sentiment impérieux que je devais fuir ce monde-là pour ne pas y laisser ma peau.
Un monde qui méprise toujours celui qui en refuse les règles, non?
Quand il y a des guerres et des pénuries, tout le monde se souvient du cousin à la campagne. Du plouc tout juste bon à cultiver des patates. Sauf que c’est lui qui détient la vie. Ce mépris actuel pour les agriculteurs et les paysans est une aberration. Et va de pair avec le mépris de la terre. Nous sommes dans une humanité qui refuse encore de se confronter avec sa propre ineptie malgré l’évidence grandissante que ce modèle est, comme la terre elle-même, à bout de souffle. Sous les apparences d’une maturité, l’homme montre une telle infantilité. Tant que nous n’aurons pas pleinement pris conscience de notre inconscience, de notre vanité, nous n’évoluons pas.
Comment expliquer alors que le système perdure, y compris auprès de politiques voire de scientifiques qui le cautionnent?
Parce que c’est le résultat d’un système hors-sol. Nos lointains ancêtres dialoguaient avec la nature, dont ils étaient largement dépendants. Dans ma chambre, je n’ai accroché que le fameux discours du chef indien Seattle. Certains aiment bien s’en moquer comme du propos d’un primitif qui n’a rien compris. Pour moi, il représente l’intelligence que l’homme actuel semble incapable d’avoir malgré toute sa science et sa technique évoluée.
Dans son sillage, vous écrivez: «Nous avons besoin de la nature, mais la nature n’a pas besoin de nous»…
Que sommes-nous? L’homme n’est sur terre que depuis quelques minutes sur un ratio de 24 heures. Beaucoup d’espèces ont disparu dans l’histoire de la terre. Notre drame, c’est que ce n’est pas la nature mais nous-mêmes qui provoquons notre extinction. Se battre, s’entretuer pour des croyances me dépasse. L’être humain sait qu’il va mourir. Nous nous savons provisoires. Et nous recherchons la sécurité. Par la réincarnation, le paradis ou l’accumulation. C’est notre grand drame. Je vois les nations comme un tribalisme désincarné. De l’autre côté de la frontière, il y a pourtant aussi un être humain. Mais le système nous pousse à nous en méfier. Et nous ne voyons même pas combien il est absurde de consacrer davantage de moyens à la destruction qu’à la vie.
La loi de la jungle?
Le lion mange l’antilope pour survivre. Pas pour la placer en banque. La croissance économique infinie, c’est comment donner au pillage le champ libre. Et le système s’arrange pour nous persuader que c’est la seule voie possible. Et qu’il nous manque toujours quelque chose à acheter. Nous devons être en état de pénurie, de désir permanent. Mais une fois que vous êtes abrité, soigné et que vous avez à manger, que nous manque-t-il?
C’est le propos de votre livre «Vers la sobriété heureuse*»…
Oui. Qui a eu un impact très important. Bien plus qu’on l’imaginait. Mon éditeur l’avait placé dans la catégorie des essais, avec un tirage de 3000-4000 exemplaires maximum. Nous en sommes à 300 000. Parce que de plus en plus de gens se sentent coincés par une société de consommation qui, en fait, n’apporte nullement le bonheur que nous recherchons tous. On peut acheter des yachts et des avions, mais pas la joie de vivre. C’est Diogène sans rien dans son tonneau face au tout- puissant Alexandre le Grand qui lui demande ce qu’il peut faire pour lui et auquel il rétorque: «Ote-toi de mon soleil.»
Le signe d’un changement?
L’ensemble du système est en train de s’écrouler. Les exclusions augmentent, sans même parler des migrations. Nous voyons l’absurde d’une société qui produit en masse des objets en même temps que des gens qui ne peuvent pas les acheter. La mondialisation n’est rien d’autre qu’une guerre en temps réel où les plus riches détruisent les plus pauvres. Sans même parler de ces pays du Sud affamés. L’agroécologie tente de changer le paradigme actuel qui veut que celui qui produit à manger détruise en même temps la terre, avec des endroits tellement drogués qu’ils en deviennent totalement stériles.
Et les organismes génétiquement modifiés (OGM)?
C’est un crime contre l’humanité. On engage le destin collectif dans des chimères et des voies sans issue. Parallèlement, on évalue qu’environ 70% du patrimoine collectif des semences collectées depuis 12 000 ans par l’humanité a déjà disparu. Or ce patrimoine inestimable n’a été possible que grâce à l’alliance passée entre la nature et l’homme qui devenait agriculteur et par là même voyait la naissance de la culture.
A part une très brève tentative, vous n’avez jamais recherché le pouvoir. Pourquoi?
En 2002, je me suis présenté brièvement et ma campagne avait pris la forme d’un forum civique. Pour que l’espace de la société civile devienne un espace de créativité. Je donne beaucoup de conférences. Mon chantier actuel est de recréer un forum civique national. Les gens me font l’honneur de m’écouter. Que faire avec cette crédibilité? Voilà ce que je tente maintenant: donner à la société civile un espace d’expression. En mettant au cœur l’humain et la nature, pas le pouvoir.
Restez-vous malgré tout optimiste?
J’ai le sentiment que la période actuelle, douloureuse pour beaucoup de monde, va déboucher sur un basculement vers une phase positive. J’espère juste que l’on m’accordera suffisamment de vie pour y participer.
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