La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

vendredi 25 avril 2014

Si on jouait ?... Oui, mais à quoi ?


Nous sommes posés à Montréal  près de Carcassonne pour permettre à Xavier de démarcher les commerçants sur Limoux (nous y jouerons début mai). Les enfants sont ravis de revoir leurs amis Théo et Lisa avant de reprendre la route, d’ici deux ou trois jours, pour prester nos dates prévues à Castelnaudary …  Je suis heureuse de voir Jean-Paul et Anne du Domaine de Fontalès et pourtant…

Moi… Ben, moi,… Je m’ennuie un peu ! Il n’est jamais facile pour moi de passer de l’énergie du jeu, (de la dynamique des voyages, des rencontres, des montages et démontages du chapiteau), à  la lenteur  d’un  quotidien devenu plus    « banal et posé » des périodes ou l’on ne joue pas. Mon humeur est soudainement passée de joyeuse à maussade, à l’image du temps. Nous avons quitté le Somail sous un ciel bleu et dans la chaleur d’un soleil généreux et nous sommes maintenant ballottés par le Cers (vent d’Ouest violent soufflant en rafales), sous un ciel gris où l’on peine à trouver  une trouée de lumière.

Car oui, inutile de le cacher, la réalité plate du quotidien me semble parfois bien lourde. Je suis née insatisfaite, et paraît-il, on ne se refait pas. Il me faut des excès, il me faut du « qui dépasse », des interrogations  et des exclamations, des « mon dieu ! », des « c’est terrible ! », des « ça fait longtemps que j’avais pas ri comme ça ! », des « c’est pas vrai ?! », des « je comprends pas… », des « c’est pas possible ! »,  et  j’en passe… Mais  voilà, les choses de la vie me semblent pourtant glisser sur une toile cirée posée sur une table trop plane : les conversations sont rangées, les non-dits aussi, la vaisselle est lavée, et nos relations sont polies. Rien, il ne se passe rien ! C’est désespérant !… Ou plutôt si ;  il se passe la même chose qu’hier, et avant-hier, et avant avant –hier, et l’on évolue dans un chez soi dont on connaît les étagères. Acteur et spectateur  d’un film, milles fois rejoué.

Evoluant donc dans mon ennui (mon petit débarras situé au fond à droite de mon cerveau),  une menue question se mit à tourner dans ma tête,  cette question que les enfants posent si  souvent : « Si on jouait ?... Oui, mais à quoi ? ». Car quand mes enfants s’ennuient, je ne manque pas de leurs répondre, non sans une pointe de cynisme pervers : « Assois- toi et attends que ça passe… ». Je constate qu’à tous les coups, il ne faut pas cinq minutes pour qu’ils jettent leur dévolu sur une idée neuve et fraîche. Rien de tel qu’un bon ennui. Car l’ennui, sorte de vertige, de gouffre, provoqué par la fatigue du cadre, et l’ennui de l’autre, renvoi immanquablement à ce vide initial logé au creux de nous. Il nous faut alors trouver un moyen de le combler pour répondre à l’angoisse d’y sombrer.

 C’est ainsi, que comme le disait Corneille : « La vie est un théâtre ». C’est alors que nous nous mettons à jouer, à occuper notre temps par des manies et des manières. Nous endossons des rôles que nous voulons d’ailleurs souvent les plus « aimables », « méritants » et  « sympathiques ». Nous laissons aux autres les rôles des « vilains », des « cons », des « malades imaginaires », des « misanthropes », et des « avares », des « bossus de Notre Dame », et des « tordus » de partout ailleurs… Et le pire, c’est que la représentation ne s’arrête jamais car les pauvres  acteurs ne savent pas à quoi ils jouent ! (Toujours par manque de travail, car selon un de mes professeur : le théâtre c’est 10% de talent et 90% de travail !) Seule consolation : Celui qui voudrait jouer « le spectateur », celui-là,  a  droit à la représentation toujours gratuite… C’est ainsi, qu’à peine posée sur les bords du canal du midi à Homps, j’espionnais un couple du coin de l’œil. Je rangeais mes petites observations, dans mon débarras en haut à droite de mon cerveau et je jurais de m’en resservir plus tard. Lorsque mon ennui se faisant sentir, je sortirais mes mesquines observations pour tenter, une fois mon rôle d’ « écrivain » endossé, de transformer  ces drôles de manières en interprétation personnelle lors d’un travail ardu de mon hémisphère gauche… On occupe son ennui comme on peut !

Ils étaient deux donc, normal jusque là, puisqu’ils jouent un couple… Remarquez que cette observation a quand même demandé une certaine finesse de ma part car ils ne montraient pas particulièrement de signes de tendresse, ni même de rapprochement physique, mais ils se suivaient toujours à égale distance, en un va et vient soutenu entre leur petit bateau de vacances (un bateau de location) et leur véhicule. Je ne savais pas dire pourquoi, mais j’avais le sentiment que la femme suivait l’homme… Ils devaient être, très certainement,  à la fin de leur séjour car, outre qu’ils vidaient le bateau de toutes sortes de paquets, chacun semblait muré dans une forme de silence maussade qui sonne en général la fin des festivités. Ils y étaient en famille car il y avait un autre couple plus jeune avec deux enfants qui sortaient maintenant du même bateau. L’homme du couple plus jeune, armé d’un tuyau d’arrosage, se mit à nettoyer hardiment la coque sous les yeux de sa femme, qui elle aussi, observait son partenaire à une distance égale au couple plus âgé (trois mètres environ). J’en déduisis qu’ils étaient de la même famille et soumis inconsciemment aux mêmes règles de distance que leurs ancêtres.  L’homme jeune devait être le fils du couple plus âgé car chargé tacitement de la responsabilité du bateau.  Plus tard, un responsable de la location vint vraisemblablement constater l’état des lieux. A ce moment l’homme âgé intervint et confirmait mon intuition : Sa femme avait pour habitude de suivre,  elle ne jouait pas le rôle de la « responsable ». Ce qui m’amusait particulièrement dans cette fin de  « vacances  en famille » c’était l’isolement de chacun d’eux ;  même les enfants étaient tout deux à une certaine distance l’un de l’autre (trois mètres environ), chacun semblant enfermé dans une bulle d’ennui et de solitude rendus acceptables parce qu’ils sont partagés. Les uns et les autres répondant à une loi invisible mais incontournable dans cette famille, la loi de la « distance d’au moins trois mètres ».  Comme le temps où l’on joue « que l’on est en vacances » est toujours un moment marqué par un changement brutal des habitudes, j’ en déduisis qu’il avaient choisi de passer ce temps dans un espace aussi réduit que possible, les obligeant donc à une certaine promiscuité. Le grand-père et la grand-mère devaient certainement nourrir le rêve de posséder un yack rutilant et ils rêvaient secrètement d’être deux marins que la haute mer n’effraie pas : Ils avaient poussé le soin jusque dans le port de la très fameuse « marinière » en coton pour la jouer « marin pêcheur », et chaussés leurs pieds de chaussures souples en toile avec semelles adaptées au revêtement des bateaux, bien sûr les vêtements étaient à dominante bleue marine et blanche. Le bateau, quant à lui, devait sans doute rester amarré au quai et n’avait peut-être jamais bougé de là, tel un décor pour des acteurs qui défilaient et jouaient tous la même pièce à quelques détails prêts. Mon observation s’arrêtait là, car déjà les « deux marins » de la ville avaient quitté le port et leur « Audi » démarrait pour les emmener vers leur domicile, fin des « vacances », retour aux rôles plus connus du quotidien.

Ainsi, je pensais en mon for intérieur et en regardant la mine triste de ces « marins d’eau douce » (ce n’est jamais que le canal du midi et pas la haute mer !) : « Qu’il peut être lourd et pesant ce quotidien fait de jeux et de rites, fait de rôles taillés sur mesure et trop souvent imposés  par nous-mêmes ou par les autres.»

Le seul moyen d’en sortir n’est pas tant de cesser de jouer, mais de savoir à quoi l’on joue, de n’accepter des rôles qu’ à la condition qu’ils nous plaisent, de s’amuser de pouvoir jouer aussi les « vilains »,  de ne jouer qu’ avec ceux qui savent à quoi ils jouent, d’éviter habilement ceux qui prétendent ne jouer à rien, d’ explorer par le jeu tout nos possibles et ainsi d’élargir les limites de nos prisons intérieures… ». Car si la Vie est un théâtre, alors jouons et amusons- nous peut-être plus  consciemment !… 

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