La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

dimanche 16 juin 2013

Dure, dure... La réalité de Steve et Laura



J’aurais voulu mettre le très joli cliché que j’avais pris de ces deux jeunes rencontrés au hasard dans les jardins de Bonnefoy à peine deux heures après notre arrivée… Mais une mauvaise manipulation de mon appareil photo (je ne suis pas des plus douée) a irrémédiablement effacé tout le fichier où étaient stockées mes photos… J’ai ragé, mais en tout cas, ils ne m’en voudront pas, car Laura m’a dit : « Une photo ? De nous ? Sur ton site ? Oh ! La, la, mais j’ai une vraie tête de plouc ! »… Moi, je ne trouvais pas ! Je les trouvais même plutôt mignons…

Nous venions de prendre le repas de midi et nous en étions au petit café, quand une mamy passant sa tête dans la roulotte en s’excusant nous interpelle : « Bonjour excusez-moi, est-ce que vous pourriez me renseigner un lieu d’hébergement d’urgence dans le quartier… » Et désignant un couple de jeunes, assis sur le banc tout à côté elle enchaîne : « Je les ai trouvé au Capitole, ils dorment depuis deux semaines dans la rue, je ne peux les héberger chez moi, j’ai de la famille, vous comprenez… Ils sont épuisés, je les ai nourris deux jours et j’essaye de leurs trouver un lieu d’hébergement, mais tous ceux que nous avons visités sont complets ou ne peuvent les accueillir, je suis une mamy-maman, je ne peux pas laisser deux jeunes dans la rue quand même, on ne devrait pas laisser les jeunes dans la rue, oh ! Mon dieu, je me dis que le monde est bien triste, personne ne veut les recueillir… ».

Je jette un coup d’œil rapide vers le banc, je salue le « couple » étrange, mes nouveaux voisins immédiats… Je réponds à la dame que je ne suis pas du quartier et de plus, j’habite dans mes roulottes, je ne vois pas très bien ce que je pourrais faire pour aider, je suggère de téléphoner au Samu pour peut-être avoir des informations susceptibles d’aider… Je me tais, je réfléchis. Xavier passe sa tête au-dehors et propose aux jeunes un thé ou un café, ravis mais fatigués, ils répondent : « Oui, un thé merci… ». Je leurs propose de venir s’asseoir avec nous à notre table, et une chaise pour la mamy qui les accompagne déterminée depuis tôt le matin et qui n’en peut plus d’avoir trop marché. Nous voilà tous à table, les enfants inquiets me regardent, ils ne comprennent pas bien ce qui se passe, sauf Ysaline qui tente d’élaborer des solutions… (Sacrée Ysaline !)

Je me lève et vais voir le gardien du parc : « Excusez-moi, je suis la dame qui occupe la roulotte, verriez-vous un inconvénient à ce que je loge ces deux jeunes à la rue, juste pour une nuit, ils sont épuisés, ils ont besoin de repos d’urgence, et, cet après-midi, mon chapiteau sera monté, il pourrait être un abris confortable pour eux, le temps d’une nuit. » Il répond en souriant : « Oh ! Mais oui, évidemment, pas de problème, mais allez quand même le signaler au personnel de mairie responsable de votre accueil… ». Confiante et naïve, je me rends dans le hall d’accueil de ce petit centre culturel de quartier pour aller signaler mon intention aux personnes responsables. Je me heurte immédiatement à un refus. J’insiste, je me porte responsable, ils sont loger chez moi, dans l’espace de mon chapiteau. En souriant, la personne me répond : « Oui, mais ton chapiteau et tes roulottes sont dans un parc qui appartient à la Mairie, vous êtes donc tous sous la responsabilité de la Mairie… C’est donc absolument impossible. » La personne ajoute, qu’une fois son repas terminé, elle viendra les voir aux roulottes. Je la remercie et regagne mon petit « chez moi » en me disant que moi aussi je ne suis plus jamais « chez moi » mais toujours chez les autres, car même cet espace « public » possède des gardiens, des barrières et un code d’accès, il est interdit d’y pénétrer la nuit, de se rafraîchir les pieds dans l’eau de cette fontaine qui occupe le centre du jardin…


Dépitée je fais part de la nouvelle aux deux jeunes, et j’ajoute que la dame de la Mairie viendra les voir pour leurs fournir des informations peut-être utiles… Nous prenons le thé en nous découvrant les uns les autres…

Laura a 19 ans, les cheveux longs et bouclés, la peau blanche parsemée de points de beauté, elle porte des lunettes, elle a le sourire timide et le regard désolé des gens qui ne veulent pas déranger, elle s’excuse d’être là. Steve a 18 ans, les cheveux châtains, un jeans prêté par un ami dans lequel il flotte à présent, (il a perdu 5 kilos en deux semaines), « le stress sans doute », il sourit plus facilement, il semble plus détendu que Laura. Je demande :

-« Comment vous vous êtes retrouvés dans cette situation ? »
-« On ne pouvait plus payer notre loyer, le propriétaire a changé la serrure sur la porte… »
-« Mais il ne peut pas faire ça sans vous informer au préalable… Vous devriez pouvoir récupérer vos affaires personnelles ! »
-« Oh ! Il les a sûrement mises à la poubelle nos affaires… Non, c’est fichu… »
-«Mais vous avez sûrement un recours contre lui… »
-« Ah, mais on a été voir les gendarmes, ils nous ont envoyé sur les roses, c’est pas leur problème qu’ils nous ont dit… »

J’enchaîne :

-« D’où venez- vous ? »
-« De Lavelanet en Ariège… Je pensais pouvoir trouver du travail à Toulouse, mais ça fait deux semaines que l’on cherche un hébergement ou un travail mais y’a rien ici, la ville c’est encore pire, j’arrive pas à dormir dans la rue, on nous agresse, alors je dors pas, avant j’avais mon chien, j’étais un peu rassurée, mais j’ai dû le donner à quelqu’un hier parce que je savais plus lui donner à mangé… Je me dis qu’elle est mieux là ou elle est… Steve il veille la nuit, on essaye de dormir un peu chacun à tour de rôle… Là, je sens que je pète un plomb, les heures avancent, et la nuit se rapproche, et la nuit j’ai peur, je supporte plus d’être dans la rue… »

Laura est la dernière qui a parlé elle regarde Steve avec un petit sourire désolé, elle enchaîne :

-« Steve il en chie aussi, mais il le montre pas, parce qu’il est pas émotif comme moi, mais il en chie aussi, moi je le sais, et puis il sait que moi ça va pas du tout, je deviens dingue, faut pas qu’on reste ici, y’a rien ici pour nous, faut qu’on parte, Steve il sent que moi ça va pas, alors il se retient, il montre rien… »

Claire (la dame de la Mairie) arrive, elle les salue, et leur donne deux trois indications, elle leurs demande s’ils sont majeurs. Peu après Nadia (de la Mairie) arrive à son tour, elle interroge les jeunes et leur demande d’où ils viennent, elle semble ne pas bien comprendre qu’ils ont dormi près du Capitole, et qu’ils sont arrivés à pied, Claire quant à elle, voit toutes ses indications refoulées par le « couple » qui précise avoir déjà effectué les démarches en ce sens sans que cela ne donne une réponse efficace et positive… Moi, je me rends compte qu’un dialogue de sourds s’installe, les responsables de Mairie insistent et je suis peu étonnée des propos de ces deux jeunes qui ne cessent de répéter que toutes ces pistes ne mènent à rien.


Il semble suffire aux uns de savoir que des structures existent pour croire que les problèmes seront réglés !... Et les autres tentent, fatigués et pour la énième fois, de faire entendre aux premiers que ces structures sont toutes complètes, ou que les procédures d’accueil rendent inaccessibles les lieux aux personnes ne répondant pas aux critères demandés (pas les papiers d’identité valides, pas un couple, célibataire et sans enfant…). Même le squat autogéré tout à côté, les aura refusés, car les membres militants de ce squat se définissent comme faisant partie d’un « groupe, ils se connaissent tous et leur action est définie comme politique ayant pour objectif de mettre la main sur des propriétés inoccupées, pur scandale pour les sans logement ». Alors là ! Je fulmine et je me dis : il est pas beau le paradoxe ?! (J’exècre la politique : j’ai toujours pensé que la politique était un bien piètre outil pour agir), mais veulent ils vraiment agir ? Et les buts poursuivis ne sont-ils pas forts différents ?

Après s’être reposés dans notre petite roulotte une partie de l’après-midi, ils ont décidé de prendre un train vers Narbonne, Ysaline leur a donné un peu d’argent (dont ils ne voulaient pas) pour acheter des tickets, ils sont repartis sous la pluie, couverts à peine de vestes de jogging blanches, les épaules rentrées avec l’espoir de se faire mieux aider à Narbonne… J’ai pris trois photos d’eux, on s’est embrassés, on a rit un peu, ils ont promis de nous donner des nouvelles et nous ont remercié chaleureusement, mais… de quoi au juste ? Faut-il aujourd’hui être remercié pour passer un peu de temps avec celui qui demande, faut-il des courbettes et des politesses pour se voir offrir un thé, et échanger quelques bons mots qui font sourire, faut-il remercier parce que l’on vous trouve joli à prendre en photo ?

Laura à une maman qui lui a proposé de revenir à la maison, mais sans Steve, Laura ne peut s’y résoudre, Laura n’a plus son papa… Steve lui, a une maman et un papa, mais il est en conflit grave avec ses parents (il ne me dira pas les raisons), il est donc à la rue depuis maintenant un an… Il possède une formation de coiffeur-maquilleur et espère pratiquer son métier un jour… Il est porteur d’une carte d’identité non valide… Laura a travaillé au « black » et possédait des aides de la caf qui lui ont été enlevées sur dénonciation d’un voisin car elle avait osé héberger Steve et l’avait fait passé pour son compagnon pour toucher des aides majorées, la Caf l’a sanctionnée, elle a perdu son emploi, ses aides, n’a plus pu payer son loyer, elle s’est retrouvée à la rue sans ses maigres affaires personnelles… Son dernier patron a fait faillite ne lui permettant plus d’avoir accès à ses anciennes fiches de paye, fiches de paye qui pourraient peut-être lui donner accès provisoirement à un RSA, le temps de se retrouver un peu… La suite, vous la connaissez, la rue, l’insécurité, l’incompréhension en face, la peur de devenir « un sans domicile de trente ans, un vieux débris alcoolique… » Laura dira ces mots en s’essuyant le nez sur sa manche, cherchant à soustraire à mon regard ses larmes. Quand on n’a plus rien à soi, il reste toujours ses larmes pour pleurer… Elle les a gardées précieusement pour elle, elle ne voulait m’offrir que le sourire et la beauté et la jeunesse et la force et la dignité… Toutes choses qui vous donnent une apparence  humaine.

Quand à moi, je suis si triste de voir la misère frapper de plein fouet deux si jeunes, cette société qui se prétend avancée mais qui semble incapable d’offrir une nuit de repos à ces jeunes, je suis écœurée par le militantisme égoïste qui palabre et ne fait rien squattant fièrement le bien d’un autre et se l’appropriant, je suis choquée que l’on ait pu me justifier un refus de les héberger en me renvoyant : « Que même pour moi, il n’était pas souhaitable de les accueillir, car tout de même… Je ne les connaissais pas ! ».

Ah ! Nous y voilà ! C’est donc cela, il faut avoir peur, cette peur immense mais absurde qui justifie toujours bien à point notre cruel manque d’imagination, cette peur qui apporte des excuses à nos manquements et qui maquille grossièrement nos zones d’ombres que l’on préfère laisser au placard… Cette peur atroce qui nous fait commettre le pire, comme dans ce très beau film que je regardais le soir même, « Liberté » de Tony Gadlif, qui évoque la tragédie du génocide des bohémiens lors de la seconde guerre mondiale, et qui faisait écho magnifiquement à ce que je vivais le jour même. Oui, décidément, les seules choses dont on n’ait pas peur dans ce monde sont sans doute les paradoxes : On aime beaucoup les mots « liberté » ou encore « égalité », ou mieux encore,  « fraternité »… Et pendant que l’on adore les mots, les choses et les êtres bougent, attendent, espèrent, vivent et meurent dans les pires souffrances parfois, mais pour certains la souffrance n’est qu’un mot de plus, un mot rangé soigneusement dans le placard de la conscience et qu’ils ne sortent à l’occasion que pour mieux palabrer sur… les autres ( sujet sans fin) voulant si peu regarder en eux-mêmes ! On préfère avoir peur, reléguant confortablement l'étrange, puis l'étranger, puis tous les étrangers, dans le continent de l'étranger en soi, ce continent sans cesse grandissant et que l'on ira jamais visiter...

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