La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

samedi 3 novembre 2012

Portrait


 Le voyage est avant tout la rencontre de l’Autre… Rencontre de l’inconnu, d’autres paysages, d’autres lumières, d’autres couleurs, odeurs, saveurs, contrastes, émotions…
Depuis un certain temps déjà, je réfléchissais à la forme que pouvait prendre le témoignage de ces rencontres singulières, posées là, sur cette route empruntée par nos roulottes. Là où l’on se pose, là où quelque chose nous arrête, là où l’Autre interpelle, choque, dérange, éclaire, calme et se réfléchit en nous-mêmes.

Le voyage alors ne serait plus une errance perpétuelle, mais, un chemin éclairé par ces repères extérieurs où le moi s’arrête un moment comme en un refuge chaleureux qui ressemblerait à un retour à la maison.

Pourquoi publier ces pensées nées de ces rencontres ?
La première raison réside dans le fait que je suis comédienne : J’aime observer les choses et les gens, pour ensuite tenter d’en faire une esquisse aux autres. La deuxième raison est encore que je suis comédienne : à ce titre, à priori, j’ai la parole libre, dans le cadre de la scène tout au moins. Cette liberté m’a toujours donné le sentiment puissant d’être actrice, dans le sens de « faire les choses ». Hors, dans ce monde qui vit une transition extrêmement délicate mais nécessaire, je décèle souvent une forme de résignation, d’impuissance grandissante. Cette résignation s’exprime le plus fréquemment par un long silence accompagné d’un soupir lourd et parfois d’une petite phrase assassine : «Que veux-tu faire, je n’ai pas le choix ! ». Il n’est pourtant rien d’inquiétant dans la réalité elle-même si ce n’est notre résignation à son endroit.
Voilà donc, pour moi, un moyen de plus de prendre la parole et peut-être de la rendre à ceux qui pensaient l’avoir perdue, la donner à ceux qui pensaient ne pas l’avoir, et enfin, faire taire ceux qui pensaient que parler était facile, et que lorsque l’on parle beaucoup (comme moi), on ne peut écouter !

J’avertis donc d’emblée, que mon témoignage ne serait être objectif, car je ne peux, (comprenne qui peut), qu’écouter en moi-même et mes limites trahiront sans doute l’Autre au détour de mon regard (trop ?) personnel… Mais l’Aube de l’Autre se lève exactement à cet endroit. Que tous ces autres que j’ai écouté du mieux que je l’ai pu, m’en excusent, mais qu’ils sachent que s’ils apparaissent dans notre petite Gazette, c’est sûrement qu’ils m’ont offert une part d’eux-mêmes, un éclairage neuf, une petite bougie pour ma lanterne, et je leurs en suis infiniment reconnaissante.

Ceci m’amène à la troisième raison : La reconnaissance vis-à-vis de la Vie, et une forme d’hommage à tout ce que j’ai pu observer durant ce vaste périple. Alors tel un Ulysse sur son vaste océan, je veux créer une carte des points forts rencontrés, rencontres étoiles empêchant aux voyageurs de s'égarer.

Notre voyage en roulotte a commencé à Montréal (Carcassonne) en avril 2012. L’idée de la Gazette s’est imposée, alors que nous étions en tournée. Il m’était dans ce contexte difficile d’écrire : Le temps étant partagé entre l’instruction des enfants, l’intendance de la famille et les montages/démontages successifs du chapiteau, enfin, les temps de représentations. Pour toutes ces raisons je n’ai démarré la Gazette qu’en Septembre, alors que nos roulottes et notre petite famille s’étaient mises à l’arrêt pour préparer la saison 2013. Nous travaillons d'arrache pieds à la communication afin d’élaborer une saison prochaine plus efficace.

Cette pause obligée est propice pour me centrer et me remettre à l’écriture !

Voici un premier portrait. C’est celui de Stéphane habitant à Quillan.
Installant nos roulottes, sur le parking des « Prés en Bulles » à Quillan, en vue de jouer nos dernières représentations de l’été, nous rencontrons Stéphane, le fondateur de l’association « Les Prés en Bulles ». Je l’avais déjà vu quelques trois mois auparavant afin de discuter des conditions d’accueil de notre structure.

Ma première impression fût mélangée. Moi-même, ce jour là, je me sentais quelque peu mal à l’aise : j’étais en position de demande face à quelqu’un que je ne connaissais pas du tout. De plus, nous démarrions notre saison et je n’avais pas encore l’assurance d’un spectacle « qui plairait » (l’aurais-je jamais ?).

Stéphane, debout derrière « son » comptoir, Xavier et moi, assis de l’autre côté, sirotant tous trois une bière fameuse et artisanale faite par les bons soins de notre hôte. Ah ! Oui, « Les Prés en Bulles » c’est aussi une brasserie artisanale. Cela aurait du me mettre à l’aise, car pour une belge (nous sommes belges) c’est une sorte de retour aux sources… Et bien, pas du tout.
Stéphane, très sérieux et peu bavard, me semblait d’un seul coup, bourru et peu comique. J’avais du mal, sous sa très belle moustache, à desceller ce petit sourire discret, souvent teinté de malice que j’ai pu observer par la suite…

Je l’avoue, la première fois que j’ai rencontré Stéphane, c’est grâce à une femme, elle s’appelle Louise, elle possède la grâce des anges et elle m’a facilité le chemin vers lui...

Car Stéphane ne se rencontre pas en pleine lumière, il se découvre sous les lumières tamisées… Il est charmant, pudique, discret et il inspire la précaution : on n’entre pas chez lui sans se sentir invitée, on essuie ses pieds pleins de boue et on demande doucement, sans crier, si l’on peut partager un moment avec lui. Stéphane est complexe car on peut entrer chez lui les chaussures pleines de boue, on ne doit pas demander dix fois si l’on peut prendre une douche, et vos enfants peuvent ne pas dire s’il vous plaît ou merci (si, si, j’y tiens !), cela n’a pas l’air de le fâcher. Il aime les enfants, et nos enfants l’aiment.

Stéphane aime la culture, il est vaste et ouvert, il n’a pas choisi « une » culture mais bien « la » culture. Il pèse ses mots avant de parler, il met des silences qui parlent plus, il croise votre regard un moment avec une belle fixité puis il revient en lui-même, les yeux rapides qui vont de droite à gauche, cherchant le mot juste, la parole authentique. Il caresse de sa main droite, les graines de malt posées dans une assiette sur le comptoir de bois, il tient de la main gauche sa cigarette roulée, et quand, installée pour un entretien avec lui, je me préparais à poser ma première question, il me surprend par deux questions à mon endroit : « Qui viens-tu rencontrer, Stéphane le membre de l’association, ou juste Stéphane… » Je réponds, il enchaîne : « Pourquoi moi ? »
Car oui, Stéphane est pour moi quelqu’un de surprenant, belle surprise, Mais chut… Je me tais… Levé de rideau sur cet homme qui aime les coulisses… Stéphane.




Stéphane et Louise


Nom :
Stéphane Lacourtiade.
Age :
43. «  merde je sais plus… Non… Oui… 43 ans ».
Origine :
Né dans le Gard, mais n’y a vécu qu’un an, il grandit à côté de Toulouse.
De Toulouse à l’Aude :
Il fait des virées avec les copains à la mer au moment du permis, il aime la région, sa sœur s’y installe, par son biais, il se fait un réseau de connaissances.
Dans l’Aude :
Il travaille comme cuistot à la montagne, il est travailleur saisonnier : « Tu travailles 17 heures par jours, tu rencontres des gens exigeants. Je commençais à m’épuiser, je ne suis pas particulièrement sociable, pas pour rien que j’ai choisis la cuisine. Par contre tu rencontres toutes sortes de gens, tu vis comme sur un bateau, dans une grande intimité, des amitiés se développent, des relations… A la fin je ne supportais plus les autres, j’avais envie d’isolement, j’aimais la montagne, le plateau de Sault, je me suis installé à Espezel, il y a treize ans. 
Les Prés en Bulles, qu’est ce que c’est ? (devise : Mieux vaut une bière d’ici à l’eau de là)
C’était un projet, un outil que j’ai créé tout seul, je n’ai trouvé personne pour le créer, peut-être parce que je ne savais pas en parler clairement, je pense que le projet pouvait faire peur, au début, un copain m’a aidé puis il a laissé tomber. C’est un outil de travail qui sort du cadre privé de l’entreprise, lieu de partage et d’échanges que la brasserie vient compléter. Depuis beaucoup de gens m’ont aidé et soutenu, sans eux ça n’aurait pas existé. Aujourd’hui, c’est un lieu développant les activités non lucratives telles que les débats, conférences, projections, concerts, soirées jeux, stages, ateliers, lieu de répétition, groupement d’achat pour favoriser la production locale et l’ouverture au monde agricole,… un lieu où la culture est prise en charge par le secteur privé. La brasserie vient compléter ce lieu et offrir son espace structurel à toutes ces manifestations. Son principal handicap, le chauffage : la brasserie fonctionnant intensivement en été, les activités doivent s’étaler de Septembre à mai. 
Le bilan aujourd’hui, ou, le rêve est- il en phase avec la réalité ?
Oui, même si on n’est pas au point. C’est un projet… Nous ne sommes pas assez nombreux, c’est toujours la même équipe, il y a un épuisement général. Mais j’ai toujours voulu avoir affaire avec la culture, j’ai travaillé 10 ans dans les cuisines, j’ai fait beaucoup d’intérim, dans les travaux agricoles, j’ai aussi travaillé dans les milieux associatifs et par le biais du théâtre à Toulouse je suis entré dans les lycées, les collèges, les maisons de retraite, j’ai fais un peu de décor. La lame de fond, c’était toujours « Les Prés en Bulles », c’est bien un rêve. J’y ai vécu des moments d’émotions intenses, des émotions générées par l’observation du plaisir que prennent les gens. Je n’aime pas me mettre en avant, j’ai plutôt tendance à vouloir fuir ça peut-être à cause de mon éducation ?… Je me suis construit dans le manque de confiance, et puis, je doute sur tout, mais j’aime donner du plaisir au gens, c’est pourquoi j’aime la cuisine. 
A ton dernier repas tu dirais quoi ?
Merci ! 
Les jours difficiles qu’est ce qui te fait tenir ?
Les autres, même si j’essaie de les fuir, je cherche à être seul avec moi-même, c’est peut-être là que je prends véritablement conscience des autres… Je suis un solitaire qui croit au collectif. 
Si tu avais une citation, laquelle ?
« Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter. » Ce n’est pas de moi, c’est de Beckett. 
Est-ce que ta moustache à un rapport avec Dali ?
Du tout (sourire)… 
Rat des villes ou rat des champs ?
Ni l’un ni l’autre. J’aurais du mal à revivre en ville, j’y ressens une grande violence sociale, la quantité des gens en difficulté, la promiscuité contrastée entre les classes pauvres et riches et l’indifférence face à ces choses, il en résulte une grande violence. Ces facteurs sont présents en campagne mais je le ressens moins. J’ai les deux, c’est aussi pour ça que j’ai voulu amener ma culture (citadine) en milieu rural (les Prés en Bulles).
Comment perçois-tu le monde ?
En transition, en mouvement permanent. Ce qu’on vit aujourd’hui n’est pas facile, pas rose pour tout le monde. Il y a de plus en plus de peurs. Mais ça dépend de quel côté on pose le regard, c’est toujours la même histoire, celle du verre à moitié plein ou à moitié vide… (Rire)… Un verre de bière bien sûr ! J’essaie d’approcher la vie de façon universelle, d’avoir une vision de l’humanité dans son évolution et j’essaie d’avancer au mieux avec mes moyens et mes compétences, de tendre vers… 
As-tu un gros regret ?
(Silence long), oui, mais je l’ai oublié… (A la fin de l’entretien, il dira : les seuls regrets viendraient de ce que j’aurais pu faire, que je n’ai pas fait et que je ne ferai jamais, donc je ne peux répondre « oui » actuellement.)
Qu’est ce qui te rendrait plus heureux ?
Un monde sans argent, sans profit… Sans argent non… Un monde plus juste où tout le monde serait acteur,… Non même pas, plutôt où chacun aurait sa place,… En fait, la vie pourrait être beaucoup plus simple. 
Qu’est ce qui te met particulièrement en colère ?
Le manque de respect. Aujourd’hui, le respect est lié à la crainte de l’autre, le respect de Dieu, le respect d’une personne hiérarchiquement perçue comme supérieure (patron, personne âgée)… Je veux parler de la politesse, la courtoisie à l’égard de l’autre, l’acceptation de tout ce qu’il est, sans le rejeter, ne pas le juger. « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse. »… Il y a aussi la méchanceté sous toutes ses formes. 
De quoi as-tu peur ?
La mort de mes parents… Et puis, des proches en général. 
Quelle est ta plus grande qualité ?
La gentillesse, je crois que je suis quelqu’un de gentil. 
Ton plus gros défaut ?
Ma méchanceté… (Rire) 
Si tu étais un animal ?
Humain… (Regard et sourire malicieux)
Pourquoi ?
Parce que je ne le suis pas complètement encore… (Re- regard malicieux)
Une plante ?
Une graminée peut-être, ou un arbre. La graminée nourrit et se ressème et l’arbre pour sa durée de vie… Pourquoi pas une fougère, une des plus vieilles plantes, je crois.
Une épice ?
Le piment. J’aime son goût. Ça relève, ça pique, ça réchauffe, c’est plein d’arômes. 
Ta vision sur la Vie, quelle y est ta place ?
Je ne fais que passer dans l’Histoire de l’humanité, j’essaie d’y passer avec beaucoup d’humilité. La place que j’ai est celle que m’accordent les autres. 
Être libre pour toi c’est quoi ?
Vivre le mieux, le plus agréablement possible sans nuisances, je ne peux pas dire en l’absence de contraintes, les contraintes n’étant pas forcément des absences de liberté, mais sans nuire aux autres et avec les autres… Encore une idée collectiviste ou humaniste,… Je ne sais pas. 
Le comble de la misère ?
Qu’elle soit une habitude… Qu’on s’y habitue, qu’elle soit banalisée… (Silence)… Mais ça, c’est déjà fait… Peut-être la résignation est elle une forme de tolérance à la souffrance…
Le comble de la connerie ?
La méchanceté sous toutes ses formes : le pouvoir, l’avidité, et la domination y participent.
Qu’aimes-tu chez les enfants ?
Leur imaginaire, ils ne sont pas encore conditionnés, leur émerveillement, leur curiosité. Ce sont des choses que l’on n’arrive pas à préserver dans notre société, on ne développe pas suffisamment ces qualités à ce moment là, ce qui explique sans doute que l’on devienne  adulte résigné. 
Comment vois- tu  « le couple » ?
C’est le début de la famille, j’ai du mal à concevoir le couple sans l’idée de la famille… Enfin… J’ai du mal (il relativise)… La famille est la première structure où peuvent  se développer des valeurs libertaires… (Pause) La famille idéale peut-être ? (il s’interroge)… Les formes de relations les plus complexes : le respect, on peut se permettre des choses qu’on ne se permettrait pas avec les autres. Elle peut-être une forme d’autogestion, c’est là, que l’on peut se forger une ouverture au monde. Mais elle peut aussi représenter une forme de danger : le sens du clan, la famille peut se fermer au reste du monde. 
Ton livre de chevet ? 
Y’en a plusieurs… (Soupir ennuyé)… « Voyage au bout de la nuit », c’est un livre très juste, le personnage est très juste. « Crimes et châtiments » de Dostoïevski, il est tellement allé loin, ils ont tellement été loin…
Un film?
 “Pat Garret Billy the Kid”, de Sam Peckinpah.
Une musique?
“Requiem allemand” de Brahm et “Fable of Faubus” de Charles Mingus.

Voilà. Cet entretien se termine… On se regarde, on se remercie, on se serre dans les bras, je déguste ma bière, je me fais la promesse de lire (ses) ces livres et d’écouter (ses) ces morceaux, de voir (ses) ces films. Je suis émue, frustrée aussi de ne pouvoir faire le tour de l'étoile... L' Autre garde toujours son mystère… et puis… Chacun retourne à son chemin…

2 commentaires:

  1. Merci, pour cet entretien, trés beau texte, dommage que je ne boives plus de biere...

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  2. Les beaux textes émanent des belles inspirations, et les belles inspirations viennent aux rencontres des belles personnes... Notre rencontre fût belle et il m'en reste de beaux souvenirs...

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