Nous sommes posés à Montréal
près de Carcassonne pour permettre à Xavier de démarcher les commerçants
sur Limoux (nous y jouerons début mai). Les enfants sont ravis de revoir leurs
amis Théo et Lisa avant de reprendre la route, d’ici deux ou trois jours, pour
prester nos dates prévues à Castelnaudary … Je suis heureuse de voir Jean-Paul et Anne du Domaine de Fontalès et pourtant…
Moi… Ben, moi,… Je
m’ennuie un peu ! Il n’est jamais facile pour moi de passer de l’énergie du
jeu, (de la dynamique des voyages, des rencontres, des montages et démontages
du chapiteau), à la lenteur d’un quotidien devenu plus « banal et posé » des périodes ou
l’on ne joue pas. Mon humeur est soudainement passée de joyeuse à maussade, à
l’image du temps. Nous avons quitté le Somail sous un ciel bleu et dans la
chaleur d’un soleil généreux et nous sommes maintenant ballottés par le Cers
(vent d’Ouest violent soufflant en rafales), sous un ciel gris où l’on peine à
trouver une trouée de lumière.
Car oui, inutile de le cacher, la réalité plate du quotidien
me semble parfois bien lourde. Je suis née insatisfaite, et paraît-il, on ne se
refait pas. Il me faut des excès, il me faut du « qui dépasse », des
interrogations et des exclamations, des
« mon dieu ! », des « c’est terrible ! », des
« ça fait longtemps que j’avais pas ri comme ça ! », des
« c’est pas vrai ?! », des « je comprends pas… », des
« c’est pas possible ! »,
et j’en passe… Mais voilà, les choses de la vie me semblent
pourtant glisser sur une toile cirée posée sur une table trop plane : les
conversations sont rangées, les non-dits aussi, la vaisselle est lavée, et nos
relations sont polies. Rien, il ne se passe rien ! C’est
désespérant !… Ou plutôt si ;
il se passe la même chose qu’hier, et avant-hier, et avant avant –hier, et
l’on évolue dans un chez soi dont on connaît les étagères. Acteur et spectateur
d’un film, milles fois rejoué.
Evoluant donc dans mon ennui (mon petit débarras situé au
fond à droite de mon cerveau), une menue
question se mit à tourner dans ma tête,
cette question que les enfants posent si souvent : « Si on jouait ?...
Oui, mais à quoi ? ». Car quand mes enfants s’ennuient, je ne manque
pas de leurs répondre, non sans une pointe de cynisme pervers : « Assois-
toi et attends que ça passe… ». Je constate qu’à tous les coups, il ne
faut pas cinq minutes pour qu’ils jettent leur dévolu sur une idée neuve et
fraîche. Rien de tel qu’un bon ennui. Car l’ennui, sorte de vertige, de
gouffre, provoqué par la fatigue du cadre, et l’ennui de l’autre, renvoi
immanquablement à ce vide initial logé au creux de nous. Il nous faut alors
trouver un moyen de le combler pour répondre à l’angoisse d’y sombrer.
C’est ainsi, que
comme le disait Corneille : « La vie est un théâtre ». C’est
alors que nous nous mettons à jouer, à occuper notre temps par des manies et
des manières. Nous endossons des rôles que nous voulons d’ailleurs souvent les
plus « aimables », « méritants » et « sympathiques ». Nous laissons aux
autres les rôles des « vilains », des « cons », des
« malades imaginaires », des « misanthropes », et des
« avares », des « bossus de Notre Dame », et des
« tordus » de partout ailleurs… Et le pire, c’est que la
représentation ne s’arrête jamais car les pauvres acteurs ne savent pas à quoi ils
jouent ! (Toujours par manque de travail, car selon un de mes
professeur : le théâtre c’est 10% de talent et 90% de travail !)
Seule consolation : Celui qui voudrait jouer « le spectateur »,
celui-là, a droit à la représentation toujours gratuite…
C’est ainsi, qu’à peine posée sur les bords du canal du midi à Homps, j’espionnais
un couple du coin de l’œil. Je rangeais mes petites observations, dans mon
débarras en haut à droite de mon cerveau et je jurais de m’en resservir plus
tard. Lorsque mon ennui se faisant sentir, je sortirais mes mesquines
observations pour tenter, une fois mon rôle d’ « écrivain » endossé,
de transformer ces drôles de manières en
interprétation personnelle lors d’un travail ardu de mon hémisphère gauche… On
occupe son ennui comme on peut !
Ils étaient deux donc, normal jusque là, puisqu’ils jouent
un couple… Remarquez que cette observation a quand même demandé une certaine
finesse de ma part car ils ne montraient pas particulièrement de signes de
tendresse, ni même de rapprochement physique, mais ils se suivaient toujours à
égale distance, en un va et vient soutenu entre leur petit bateau de vacances (un
bateau de location) et leur véhicule. Je ne savais pas dire pourquoi, mais
j’avais le sentiment que la femme suivait l’homme… Ils devaient être, très certainement,
à la fin de leur séjour car, outre
qu’ils vidaient le bateau de toutes sortes de paquets, chacun semblait muré
dans une forme de silence maussade qui sonne en général la fin des festivités.
Ils y étaient en famille car il y avait un autre couple plus jeune avec deux
enfants qui sortaient maintenant du même bateau. L’homme du couple plus jeune,
armé d’un tuyau d’arrosage, se mit à nettoyer hardiment la coque sous les yeux
de sa femme, qui elle aussi, observait son partenaire à une distance égale au
couple plus âgé (trois mètres environ). J’en déduisis qu’ils étaient de la même
famille et soumis inconsciemment aux mêmes règles de distance que leurs
ancêtres. L’homme jeune devait être le
fils du couple plus âgé car chargé tacitement de la responsabilité du
bateau. Plus tard, un responsable de la
location vint vraisemblablement constater l’état des lieux. A ce moment l’homme
âgé intervint et confirmait mon intuition : Sa femme avait pour habitude de
suivre, elle ne jouait pas le rôle de la
« responsable ». Ce qui m’amusait particulièrement dans cette fin
de « vacances en famille » c’était l’isolement de chacun
d’eux ; même les enfants étaient
tout deux à une certaine distance l’un de l’autre (trois mètres environ),
chacun semblant enfermé dans une bulle d’ennui et de solitude rendus
acceptables parce qu’ils sont partagés. Les uns et les autres répondant à une
loi invisible mais incontournable dans cette famille, la loi de la
« distance d’au moins trois mètres ».
Comme le temps où l’on joue « que l’on est en vacances » est
toujours un moment marqué par un changement brutal des habitudes, j’ en
déduisis qu’il avaient choisi de passer ce temps dans un espace aussi réduit
que possible, les obligeant donc à une certaine promiscuité. Le grand-père et
la grand-mère devaient certainement nourrir le rêve de posséder un yack
rutilant et ils rêvaient secrètement d’être deux marins que la haute mer
n’effraie pas : Ils avaient poussé le soin jusque dans le port de la très
fameuse « marinière » en coton pour la jouer « marin
pêcheur », et chaussés leurs pieds de chaussures souples en toile avec
semelles adaptées au revêtement des bateaux, bien sûr les vêtements étaient à
dominante bleue marine et blanche. Le bateau, quant à lui, devait sans doute
rester amarré au quai et n’avait peut-être jamais bougé de là, tel un décor
pour des acteurs qui défilaient et jouaient tous la même pièce à quelques
détails prêts. Mon observation s’arrêtait là, car déjà les « deux marins »
de la ville avaient quitté le port et leur « Audi » démarrait pour
les emmener vers leur domicile, fin des « vacances », retour aux
rôles plus connus du quotidien.
Ainsi, je pensais en mon for intérieur et en regardant la
mine triste de ces « marins d’eau douce » (ce n’est jamais que le
canal du midi et pas la haute mer !) : « Qu’il peut être lourd
et pesant ce quotidien fait de jeux et de rites, fait de rôles taillés sur mesure
et trop souvent imposés par nous-mêmes
ou par les autres.»
Le seul moyen
d’en sortir n’est pas tant de cesser de jouer, mais de savoir à quoi l’on joue,
de n’accepter des rôles qu’ à la condition qu’ils nous plaisent, de s’amuser de
pouvoir jouer aussi les « vilains »,
de ne jouer qu’ avec ceux qui savent à quoi ils jouent, d’éviter
habilement ceux qui prétendent ne jouer à rien, d’ explorer par le jeu tout nos
possibles et ainsi d’élargir les limites de nos prisons intérieures… ».
Car si la Vie est un théâtre, alors jouons et amusons- nous peut-être plus consciemment !…