La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

vendredi 14 février 2014

Casse-tête pour le cœur...

Je me réveille ce matin... Me demandant ce que je pourrais bien écrire, ma mémoire vint soudain me rappeler qu'aujourd'hui était un grand jour, car précisément, c'est l'heureux jour de la Saint Valentin !

Je vous entends déjà soupirer et affirmer en votre for intérieur, d'un air légèrement supérieur : « C'est pas vrai, elle ne va quand même pas s'abaisser à écrire quelque chose sur ce non-événement, purement commercial... ». Si, si je vous assure que je vous ai entendu le penser très fort ! Et le pire, c'est que vous ne vous démarquerez pas en véhiculant ce genre de remarque, vous ne ferez que relayer une idée massivement exprimée ! L'original, aujourd'hui, étant plutôt celui qui, audacieux, continue à braver les foules, pour offrir à sa (son) tendre, un petit quelque chose pour marquer le coup...

Que viens-je donc tremper dans un tel guet-apens ? Hier au soir, ma deuxième fille Mado (11 ans), toujours friande d'histoires d'amour nous jetait innocemment à la face :  « Oh ! Demain c'est la Saint-Valentin... Alors ?... Vous allez faire quoi pour la Saint-Valentin ?... ». Et comme, nous nous regardions tel des ânes, elle risquait en riant :  « Vous allez sortir avec vos enfants ?... Non, vous allez quand même pas sortir avec vos enfants... Ça c'est quand même pas une vrai Saint-Valentin d'amoureux... ». Voilà, où j'en étais rendue. Outre l'idée extrêmement audacieuse de « sortir », il fallait encore que le concept de « sans enfant » parcourt mes synapses endoloris de « mère 4 fois ».
Je m'entendais lui répondre vaguement perturbée : « Rien ». Voilà, c'était sans appel ! Mado n'osait rien ajouter, et mon compagnon, me regardait l'air partagé entre la gêne et le soulagement.

Car il est vrai, que j'hésite à enfiler un imperméable beige, à couvrir mes cheveux roux d'un foulard en soie, à m'affubler de lunettes noires les plus grandes possible, bref, à ressembler lointainement à « Lady Di incognito », pour aller glaner, quelque cœur en peluche rouge avec la mention « I love you », ou encore, quelques, caleçon noir à petits cœurs, tasse à café avec deux cochons roses qui s'embrassent, rose rouge, coussin marqué « Je t'aime », coffret parfum « Pour toi, mon amour », carte pleine de cœurs et de cynisme « Pour le meilleur et... pour le pire... ». Oui, je ne sais pourquoi, mais mon cœur assoiffé peinait à l'idée de devoir trouver le cadeau idéal parmi cette explosion d'objets plus laids les uns que les autres, et dont la seule fonction semblait tenir dans le fait de mettre notre amour en boîte. Mais ayant l'imagination rarement en reste, je m'acharnais et je m'imaginais donc, vaillante me dirigeant vers la caisse pour payer mon « petit bon d'achat d'une valeur de 20 euros et signé je t'aime » (seul cadeau tout à la fois pratique, pas trop cher, de bon goût par opposition au mauvais goût le plus absolu, et qui n'allait pas demander à mes neurones des efforts trop violents) mais donc, j'étais arrêtée dans mon élan par une amie qui m'avait reconnue, et qui, malgré toutes mes tentatives pour passer incognito, posait déjà sur mon déguisement un regard faussement interrogatif tout en pensant très fort : « La pauvre, elle est tombée dans le panneau, et voilà à quoi elle en est réduite ». Non vraiment, c'était au-dessus de mes forces. Et pourtant... Et pourtant... Qu'avait donc soulevé ma petite Mado ?... Comme dans « Le Zèbre » (le film), planait au fond de moi le petit air de Souchon « Où en sommes- nous ? Où en sommes- nous ? ».

Sachant que « Nous » est ici, la somme de « Je plus un autre Je », qu'ici « Je » est égal à Y (Ysabeau) mais que l'autre « Je » est égal à « X » (Xavier), sachant donc qu' X est un autre, on peut donc en déduire qu' X est l'inconnue. « Je » doit donc compter sur soi-même « Y » pour tenter de résoudre cette énigme, qui pourtant et paradoxalement, concerne « Nous ». Tout ceci a l'air très mathématique je vous le concède, mais ne vous en formalisez pas outre mesure, car pour rappel, la musique et la poésie, répondent aussi toutes deux à la logique mathématique et n'en restent pourtant pas moins belles. Donc courage ! L'énigme reste « où en sommes- nous ? ». Voilà donc, que Mado, la plus « planante » de mes enfants, soulevait pourtant un problème d'une subtilité extrêmement complexe. Car il fallait bien l'admettre la notion de « Nous » était ici, chez moi, un peu confuse. Fallait-il l'entendre en qualité de « Nous » est égal à la sommes de « Je » plus un autre « Je », (qu'ici par souci de clarté pour vous je vais nommer « Tu »), donc « Nous est égal à « Je » plus « Tu » plus encore « toi », « toi », « toi », et « toi ». « Toi » étant bien sûr égal, (pour ceux qui auraient du mal à suivre en mathématiques), à « Ysaline », « Mado », « Gaspard », et « Erwenn ». Sachant qu'ici, les « Toi » sont classés dans un ordre décroissant, c'est à dire du plus grand au plus petit, on peut donc en déduire et ceci complique le problème, que un « Toi » n'est pas forcément égal à un autre « Toi ». Où bien, fallait-il entendre dans le problème posé : « Nous » est égal à « Je » plus « Tu » un point c'est Toi... Euh... Pardon... Je voulais dire un point c'est tout ! Bref, voilà que me revenaient en pleine face les années douloureuses de mon enfance où je suais des gouttes car je ne comprenais pas comment on avait pu en arriver à la supercherie de faire tenir tout l'infini dans un petit sigle aussi ridicule qu'un 8 couché, et où l'on prétendait pourtant m'apprendre sous le nom pompeux de « mathématiques » des sciences très exactes ! Alors que ma matière grise se transformait peu à peu en masse gélatineuse sous l'effet de la chaleur excessive provoquée par un travail intense de mes 2 seuls neurones encore un peu efficaces (4 fois mère est égal à ça use), je constatais, impuissante, que le mystère du « Nous » restait entier. J'en déduisis donc qu'en terme de sentiments amoureux, le problème, ressemblait furieusement à un problème du niveau deuxième lycée (pour les belges : quatrième humanité... Non, parce qu'ici en France en plus ils comptent à l'envers!), où, justement l'on aborde, des notions aussi vastes que : 8 couché est égal à infini !

Car comment, en effet, faire tenir tout le mystère de l'autre et de soi dans un mot aussi limité qu'un 8 couché, et comment lui rappeler combien on l'aime avec ce mot qui n'en n'est même pas un puisque, lui, tient dans une seul lettre : ne dit-on pas « je t' M » ? La lettre « M », allait pourtant me fournir, si pas une solution, peut-être un début de piste. Voilà que ce « M » première lettre de « Mystère », allait éclairé d'une fraîche lueur ma conscience embrumée. C'est d'ailleurs probablement, ce que l'on nomme : le très fameux Mystère de la foi...

Car cela me sauta aux yeux « M » était aussi la première lettre du mot « Maman », et comme pour confirmer au cas où mon esprit rebelle désirait échapper à la cruelle réalité, « M » était aussi la première lettre du mot « Mère ». Remarquez d'ailleurs que c'est aussi la première lettre du mot « Mariage » et de l'expression « Maudite sois-tu ! » (Je ne sais pas pourquoi je pense à ça ?!). Attention je m'égarais. Sans doute fallait-il poser le problème dans l'équation suivante : « Je » diminué s'il était soustrait momentanément à l'obligation de « M », « Je » donnerait peut-être et paradoxalement un « Je » avec valeur sur ajoutée, (« moins » devenait « plus » : notion mathématique du niveau quatrième collège). Car « M » était aussi, et « Je » l'avait sans doute oublié, la première lettre de « Merde, Je ne sais plus où Je en suis !... ». Prise dans les multiples tâches quotidiennes que supposait mon choix de mère, n' avais-je pas un peu négligé le fait incontestable d'être une femme ? Et comme un de mes petits anges, sous les traits de Mado, me le rappelait maintenant : Sans doute, fallait-il que je plonge en moi-même ? Sachant que « Je » est toujours défini par cette loi : Il ne peut être rencontré que par soi-même. Ainsi, je constatais à quel point la femme que j'étais, croulait sous la mère que j'étais devenue. Il me suffisait alors, de soustraire un moment « toi », « toi », « toi », et « toi » de « Nous », pour pouvoir sentir l'envie puissante de cette part de « Je » qui voulait encore rencontrer « Tu ». Élève lecteur... As-tu suivi ?

Et voilà que mes neurones accablés de fatigue respiraient soudainement l'air iodé et pur d'un vaste océan. Après ce cours difficile de mathématiques appliquées, l'heure de la récréation avait sonné (enfin !). Je rêvais de nager un instant dans le pays vaste de nos amours où je croisais dans les eaux bleutées mon inconnu, ce cher « X », puis tout deux couchés à l'horizontal comme un joli 8, nous regagnions le continent secret de notre « Nous » intarissable, pour nous y poser un moment, bercés par le bruit des vagues et de la brise tiède, et au loin, mais alors vraiment très très loin, le rire léger et cristallin de nos enfants heureux. Alors si j' y arrivais, si j'y arrivais seulement, je pourrais dire sans déguisement ridicule et sans honte : Que « X » + « Y » = « Nous » qui est = à 8 couché dans le sable et que « Nous » sans rien perdre de sa grâce, est aussi la somme de « Toi », « toi », « toi », et « toi » du plus grand au plus petit.


Joyeuse Saint-Valentin à tous et particulièrement à « Tu » qui est aussi « X » et qui n'est que partiellement connu gardant ainsi tout son mystère, c'est beau l'amour... Je suis une incorrigible romantique !... (et tout les jours, bien sûr, en respectant bien ces lois mathématiques, Saint-Valentin à dose illimitée !...)  

jeudi 13 février 2014

"Rémini-sens"

Lorsque le présent ne fait pas toujours sens, il arrive que l'on plonge dans la mémoire espérant y glaner quelques souvenirs précieux. Ainsi, remontant à la surface, on peut contempler, à la lumière de la conscience, les petits fragments nacrés ramassés sur les fonds blancs de nos réminiscences.

Voilà ce qu'au hasard de mes rêveries je trouvai aujourd'hui. Ce fût une rencontre, furtive et improbable, alors que nous étions sur les routes et que fatiguée je préparais un café dans la grande roulotte, profitant d'un instant de calme et écoutant les bruits du dehors parvenant par les portes grandes ouvertes. Mon compagnon semblait parler avec une femme qui avait arrêté sa promenade tout à côté de notre convoi. Je ne percevais que les sons de leurs voix sans pouvoir entendre ce qu'ils se disaient précisément. Ce jour là, je ne souhaitais voir personne, j'avais besoin de repos et c'est donc cachée dans ma petite « maison de bois » que je m'abritai du regard des autres.

Soudain, mon compagnon vint troubler ma retraite ouatée, pour demander prudemment : « Ysa, y'a deux dames là, qui aimeraient bien jeter un coup d’œil à l'intérieur de la roulotte... », puis me regardant et conscient de mon désir de tranquillité, il ajouta :  « Est-ce que ça te dérange ? ». A peine avais-je répondu qu'elles pouvaient venir, que l'une d'entre elles était montée sur la marche de l'entrée et s'exclamait d'une voix perchée et avec un accent prononcé qui ressemblait à l'accent arabe : «Oh ! Je le crois pas !!! Ma mère si elle voyait ça ! », puis très agitée, elle s'adressa à son amie : « Viens voir, viens voir, je le crois pas, y'a même un poêle à bois, on peut même faire du feu !Aller ! Viens j'te dis, viens voir ça... », elle enchaîne en me regardant :  «  Oh, pardon Madame, je veux pas déranger, je veux juste regarder ». Je restais comme deux ronds de flan, les yeux aussi expressifs qu'un poisson brutalement sorti du bocal et qui se demande encore ce qui lui est arrivé. Ma petite casserole de café dans les mains, je m'accrochais solidement au manche (dérisoire amarrage), espérant y trouver un appui face à la tempête tonitruante qu'avait déclenché ces deux nouvelles venues dans mon petit bocal où je faisais des bulles en tournant en rond un instant plus tôt. J'observais les dames (son amie l'avait rejointe), et tandis qu'elle déversait un flot de paroles que j'entendais vaguement, je voyais mon compagnon, resté dehors, posté l'air navré pour moi, juste derrière les deux « rencontres du troisième type ». Celle qui parlait fort, était habillée de bas résilles noirs, un petit sac vernis à la main, les cheveux attachés avec un chou-chou au couleurs criardes et en pur latex, la veste en fourrure nylon, des boucles d'oreilles volumineuses ses lobes distendus habitués au poids, un dessus moulant aux motifs léopard, elle semblait avoir une quarantaine d'années et je me disais, non sans humour, qu'elle avait la tenue assortie à la voix : audacieuse ! Pourtant, malgré ce festival de sons et de couleurs qui me rappelait les ambiances de foire du midi, je sentis d'emblée une sympathie forte pour cette femme. Je sortais bientôt de mes pensées, percutant soudain, que le flot de paroles qu'elle déversait m'était adressé, il allait falloir répondre. « Courage ! » me dis-je.

- « Je ne veux pas vous déranger... », vers son amie elle enchaîne, «...tu as vu ça, j'te jure, c'est pas vrai je rêve ?! », puis de retour vers moi, « alors comme ça vous faites du café ? ».
-« Oui,euh... C'est ça... Je fais du café... », ma voix sort timide et je regarde, toujours les yeux poissonneux, le liquide sombre et chaud au fond de ma petite casserole, je risque : « Vous pouvez entrer si vous voulez... »
- Se sentant autorisée, elle enchaîne en rafale, « Et alors là, tu fais le feu ? », sans attendre la réponse, « tu chauffes au bois ? C'est comme ma mère, mon dieu ! Si elle voyait ça Madame, ma mère elle pleure ! Et alors, là ?... C'est les enfants qui dorment, t'as combien d'enfants ? »
- Moi, droite et aussi perplexe qu'un thon, « Quatre... J'ai quatre enfants... »
- « Quatre enfants ?! Et y dorment tous ici ? Avec vous ? Vous dormez tous dedans ? C 'est des filles où des garçons ? »
- « Deux filles et deux garçons »
- « Ah, ça... ça, c'est bien, deux de chaque, c'est bien ça Madame, et là, tu cuisines ?... Mais c'est pas possible, vous pouvez pas dormir à six ici... »
- « Non, nous, les parents, on dort dans la petite roulotte à côté, et depuis peu, ma fille aînée dort dans la petite « caravette », juste là... »
-  « Oh,lala,lala ! Moi, je ferais pas ça Madame, il faut pas faire ça, les filles il faut les faire dormir dans la p'tite caravane, les 2 garçons, il faut les faire dormir dans la petite roulotte, et la plus grande roulotte, il faut la prendre pour vous, moi, c'est sûr, je la prendrais pour moi... Et le chien il dort aussi à l'intérieur ? Il faut le mettre dehors, il peut pas rentrer dans la roulotte... Oh ! J'te jure si ma mère elle voyait ça, elle pleure Madame ! Et les enfants, ils vont pas à l'école ? 
-« Non, on les instruit nous-mêmes, tous les matins... »
- Regardant son amie « Ah ! Oui, tu vois, c'est comme nous, y vont pas à l'école... » puis s'adressant à moi, « Alors, tes enfants ils sont heureux, hein ? »
Comme je répond timidement : « Oui, je crois... ». Elle s'arrête soudain comme n'ayant plus de souffle, me regarde avec une attention accrue, et l’œil méfiant elle scanne mon accoutrement. Je porte un jeans, un tee-shirt uni, des petites lunettes de lectures posées sur le dessus de ma tête, je suis parfumée, et mes chaussures « Arts » complète ma tenue pratique, élégamment décontractée, une tenue scientifiquement « négligée ». Je suis d'un autre monde. Elle s'en rend compte. Silence gêné. L'ange malicieux étant passé, elle rompt le silence.
- « Et tu peux rester ici, avec tout ton convoi ? »
- « Je dois en demander les autorisations auprès des mairies... Mais comme nous faisons du spectacle, on m'autorise à rester... »
- « Ah ? Tu fais du spectacle ? De la musique ? Du spectacle de quoi ? Et tes enfants, y font aussi du spectacle ? »
-« Oui, il y a juste , le petit dernier qui ne le fait pas, c'est encore trop dur... C'est du théâtre...»
- «Ah, oui, alors tu peux rester, grâce au spectacle... »
-Je demande intriguée : « Vous vivez ici ? »
- « Oui, on vit sur le terrain là-bas... On est des gitans, je viens d'acheter ma nouvelle caravane, elle est grande comme ta roulotte, mais j'te jure Madame, si tu me donnes ta roulotte, j'te donne tout de suite ma caravane, elle est super équipée et elle est très pratique, mais c'est sûr qu'elle vaut pas ta roulotte. Ma mère... Ma mère, elle a connu ça, elle a vécu dans la même roulotte que toi, elle chauffait avec le bois... Maintenant c'est fini, ça existe plus ça... C'est toi, qui la faite ? »
- « Non, c'est un roulottier qui l'a fabriquée pour nous »
- « Tu dois aller à Sainte Marie de la mer, c'est sûr, qu'on va t'accueillir, y vont pas en revenir, tu dois y aller, tu seras accueillie toi avec tes enfants... ». Puis, de nouveau s'installe un silence interrogatif. Elle demande prudemment : « Mais toi...Tu viens pas de là ? Tes parents, ils vivaient comme ça ? Tu vis toute l'année dans tes roulottes ? T'as une maison ? J'te jure madame, j'ai les larmes aux yeux, c'est comme dans un rêve... C'est le rêve de ma mère, elle m'a raconté, le feu dans le poêle et tout ça... »
-  « Vous avez vécu ça ? Vous... Vous avez vécu petite dans des roulottes en bois ? »
- «  Mais non !!! ça, c'est ce que j'te dis madame, c'est fini ça, nous, on nous parque et on est dans des caravanes en plastique maintenant... C'est terminé, on n'en voit plus des gens qui vivent comme ça. Ta famille ? Y' comprennent ce que tu fais ? »
Je la regarde avec tendresse et je sens l'émotion de cette femme plongeant dans ses souvenirs de petite fille qui écoutait les histoires de sa mère. Une mère et un mode de vie aujourd'hui morts.
J'explique : « Oui, je vis avec ma famille et toute l'année dans mes roulottes, oui, c'est une vie que je sais donc difficile mais belle, oui, le spectacle facilite mes déplacements et m'autorise le stationnement sur l'espace « public », oui, je pense que mes enfants sont heureux et bénéficient d'une certaine liberté, oui, je viens d'une vie en maison, j'ai quitté le confort de cette maison pour en arriver là, non, mes parents n'étaient pas des gens du voyage, je viens d'un milieu aisé et conformiste, non, je ne les vois plus, mon père est mort, et ma mère... C'est compliqué... Je ne la vois pas ». A nouveau, un silence s'installe et nous nous regardons intensément toutes les deux. Après une pause chargée d'émotion, elle ajoute avec l'humour et la joie qui semblent l'habiter en permanence, habillant joliment sa tristesse et la mienne : « Donc, toi, tu as choisi de faire le chemin à l'envers ?... »
- «... » 

Oui, c'est ça, c'est exactement ça, j'ai fait « un chemin à l'envers », et retrouvant mon air de thon sorti du bocal, je pense que cette femme, a su exprimer, mieux que je ne l'aurais su, la réalité profonde qui est la mienne. J'ai fait le choix de parcourir une route à l'envers, alors que je ne venais pas de là, que je ne connaissais rien à la réalité des gens du voyage, j'ai pourtant choisi, de quitter le confort d'une maison, la sécurité d'un salaire mensuel, le repos des enfants qui vont à l'école, les dîners en famille ou entre amis dans des lieux connus car on y évolue depuis toujours, la sécurité des assurances santés qui se renouvellent automatiquement depuis que vous êtes nés, j'ai quitté les carottes sous cellophanes, et la température constante à 23°, j'ai quitté mon palais doré et les amis qui me trouvaient folle, tout cela pourquoi ? Pourquoi ?... « Pour faire le chemin à l'envers ». Et ce jour là, rencontrant au hasard cette gitane au cœur grand et vaste comme un monde sans frontières, je comprenais que je n'étais pas un « thon », ni un « poisson sorti du bocal », là, plantée avec ma casserole comme unique rempart entre elle et moi, je la regardais et je comprenais que j'étais plutôt un « saumon ». Une femelle saumon qui fraye et qui lutte de toutes ses forces pour remonter le courant, elle ne sait même pas si elle arrivera vivante, elle avance et c'est juste plus fort qu'elle, plus fort que tous, plus fort que tout, elle veut revenir à la source, car c'est là, et nulle part ailleurs qu'elle doit pondre ces œufs. C'est à partir de ce lieux profondément inscrit en elle-même qu'elle doit créer et procréer, c'est uniquement à partir de là que la vie aura une chance de grandir et de vivre à son tour... C'est là, que comme un rendez-vous puissant, elle retrouvera donc son mâle pour s'unir et créer.

Je ne me souviens plus de son nom en gitan, mais je me souviens qu'elle m'en avait donné, en riant, la signification cocasse. Ses parents l'avaient appelée « chèvre », car petite, elle sautillait partout, et aimait grimper où le monde offrait à ses caprices sauvages un promontoire bienveillant. Alors que nous étions à présent dehors, et que déjà nous sentions, toutes deux, qu'il allait falloir se quitter, je courais vers ma roulotte pour aller y chercher quelque chose qu'elle puisse garder de moi. Je lui tendis un oiseau mobile fait de mes mains. Et dans l'émotion qui nous étreignait toutes les deux, nous nous embrassions en nous souhaitant bon vent, je la regardais s'éloigner en pensant qu'elle avait peut-être, l'espace d'une rencontre, retrouvé cette joie sautillante de son enfance. Un temps où elle vivait libre et heureuse en écoutant les histoires d'une mère qui, se souvenant des roulottes et du voyage, lui racontait le temps passé et les feux de bois dans le petit poêle, qui murmurait tout cela dans sa langue de gitane, à elle, sa petite « chèvre ».



Elle me quitta les larmes aux yeux, émue sans doute, d'avoir pu entrevoir une forme de liberté perdue. Aujourd'hui, attachée, comme la petite chèvre de Monsieur Seguin, dans une pâture, la corde au cou, avec l'eau et l'électricité, et pour se protéger du froid, sa caravane toute équipée en plastique. La « rémini-sens » de cette rencontre résonne encore en moi, alors que je m'efforce toujours de « faire le chemin à l'envers » à contre courant, reconnaissante d'avoir pu croiser cette étrange personne qui sans le savoir me rappelait, dans une formule simple, à ce que j'étais et au choix que j'avais fait.  

samedi 8 février 2014

La couleur de mon hiver


Alors qu’aspirant profondément à un hiver comme un « retour » en famille,  mon hiver se révélait pourtant blanc et froid : il n’avait pas la couleur tant attendue et annoncée par cette fin de saison, cette couleur automnale orange et chaude. Les teintes chaudes de la braise qui du feuillage tout entier, une fois l’hiver venu et les feuilles tombées, se concentrent dans l’âtre et amènent autour du feu de la cheminée les petits bonheurs tranquilles de la période hivernale : les chocolats chauds partagés, les odeurs de sapins et de fêtes familiales, les bagarres de boules de neige, les promenades dans le désert blanc au froid mordant, le repos des guerriers autour d’une table dressée de mets, les dindes fumantes, les gâteaux, le chocolat, les galettes des rois, toutes ces gâteries qui nous font oublier ensemble la rigueur froide du dehors.

 Mais cette fin de saison qui fût marquée par un incident sans gravité mais douloureux laissait en moi sa marque profonde, et je ne soupçonnais pas alors, qu’une fois de « retour », j’allais faire le constat d’un énorme « branle bas de combat » en moi-même. L’incident révélant le fait que nulle part je ne serais plus « chez moi », je ne pouvais que rentrer « en moi », sans patrie, sans famille, ce « en moi » ressemblait à un champ de guerre. Ce champ de bataille m’empêcha d’abord de trouver le sommeil, ensuite une sorte de « tiédeur » nouvelle m’envahissait à l’égard des gens qui m’entouraient, un peu comme ces soldats dans les tranchées qui s’habituent et s’accommodent sous peine de devenir fous, ainsi je ne me montrais plus aussi « ouverte » et peu à peu mes relations se faisaient plus réservées et prudentes, je sortais rarement de la tranchée, j’avançais comme sur un terrain miné affichant d’emblée un ridicule drapeau blanc, bientôt une tristesse sans agitation me taraudait tout le jour, puis une fatigue telle s’installa qu’elle me contraignait à la nécessité de dire mes limites sans heurt, ensuite vint le temps de la réflexion, de la méditation et je me mis à dévorer des livres. Une fois de plus, les livres semblaient être seuls réellement capables de m’apporter tout à la fois ; un espace intime et personnel, un écho en moi-même, un nouveau regard, une proposition de piste nouvelle, l’avantage de la présence d’un autre sans les multiples inconvénients de son jugement trop fréquent. Bref, je me plongeais compulsivement dans des lectures qui parlent beaucoup et qui néanmoins savent pourtant se taire, et je cherchais dans ce méli-mélo de mots choisis, un éclairage, une lueur, une petite flamme pour y réchauffer un  peu mon âme trouble et esseulée. Emmitouflée dans ma couverture, n’ayant pas le moindre courage pour allumer un feu, toute habillée dans mon lit, je tentais de me réchauffer au feu de ces mots tout comme la petite fille aux allumettes craquant ses petits bâtons de bois, transparente aux passants, qui comme leur nom l’indique, ne font, eux, que passer. Je lisais donc « L’arbre des possibles », « La chute des géants », « L’hiver du monde », « La secte des égoïstes », « Purge », « Au Royaume des femmes », « En mémoire de la forêt », « Au bonheur des dames », « La mémoire des vaincus », toutes ces lectures sorties au hasard de la bibliothèque précieuse d’une amie.

 C’est ainsi que plongée au cœur des mots, je me trouvais lentement et curieusement amenée à plonger au cœur du siècle dernier, période d’industrialisation, mais aussi et surtout période de mutations profondes, de crises douloureuses. Un monde aux prises simultanées avec des enjeux économiques nouveaux, des crises sociales aigües, des tensions politiques, et des désirs de libertés, un monde de revendications, d’exigences de droits pour les individus jusqu’alors privés. Une planète soumise aux tyrannies, de Lénine, Staline, Hitler, Franco, Mussolini et où les pouvoirs tsaristes, bolchevicks, communistes, allaient progressivement déboucher sur le capitalisme puis le capitalisme à outrance dans lequel nous vivons aujourd’hui. Enfin, une Europe « démocratique » aux contours redessinés par deux guerres violentes, et qui peine pourtant à trouver une place au sein de cette mondialisation qui exploite encore. Les phénomènes n’ayant pas disparus, juste auront-ils été déplacés. Un monde aussi, et on le sait peut-être moins, qui fût porté par le formidable espoir de voir les individus plus libres. Mais comme les anarchistes libertaires le devinaient, ces deux guerres seraient folies meurtrières, ce monde verrait la tyrannie la plus brutale s’installer, le travail s’automatiser au détriment du confort de l’individu, les misères sociales continueraient, et les valeurs d’égalité représentées par les pouvoirs en place rentreraient violemment en contradiction avec la liberté des individus. La seule solution : une terre généreuse qui se passerait bien de toute forme de pouvoir (le pouvoir n’étant jamais que la domination des uns sur les autres et ne laissant jamais d’autres choix que celui de la soumission ou de la guerre). Inutile de préciser que les anarchistes libertaires qui œuvraient avant l’installation du bolchévisme, furent tous enfermés, ou abattus, ou encore assimilés disons le : ils furent vaincus. Mais comment ne pas l’être lorsqu’on est pacifique, dans un monde qui, lui, est armé jusqu’aux dents ? Et finalement, est -ce que toute forme d’idéal ne devient pas tyrannie dès lors qu’il tente de s’imposer au plus grand nombre par le biais du pouvoir ?

 Aujourd’hui, ces mêmes idées de liberté continuent à m’animer et sont toujours aussi malmenées par le contexte, qui après tout, n’a pas tellement changé. Oui, c’est sûr, je n’ai pas eu à subir deux guerres violentes, je ne vis pas sous une dictature, je vis dans un état « démocratique » qui n’a pas peur de mettre dans sa devise deux termes aussi contradictoires que  liberté et égalité (il faut être un peu schizophrène pour vivre ici), je ne me nourris pas tous les jours de choux et de pomme de terre, je vis dans une société de consommation et j’ai appris à consommer dès le plus jeune âge, je ne dois m’inquiéter que de mon pouvoir d’achat, j’ai acquis la liberté de voter (dans mon pays où je ne vis plus ?!), je peux jouir de mon corps en toute liberté (si ceci est en accord avec mon contrat de mariage mais je peux aussi divorcer facilement),  je peux espérer vivre jusqu’à 90 ans en relativement bon état (vu les progrès formidables de la médecine), si je suis en très mauvais état je serai prise en charge par une institution psychiatrique ou médicale, ou encore un hospice de vieux… Et pourtant, l’hiver ressemble à une traversée du désert. Pourquoi ?

 A l’éclairage de mes lectures et de mes dernières expériences relationnelles malheureuses, je me rendais compte à quel point je tentais, bien inconsciemment et depuis des années, d’incarner un idéal de liberté. Oui, tout comme une petite « anarchiste libertaire », je luttais en moi-même pour faire exister ma liberté de femme, ma liberté au travail, ma liberté d’esprit, ma liberté de voyager, ma liberté de rêver, de créer, d’inventer, d’accoucher, d’instruire, tout cela sans nulle autre ambition que le bonheur en moi-même. Je portais au creux de moi cette intime croyance que le pouvoir était forcément corrompu même s’il était guidé par de belles idées. Je continuais à penser profondément que l’être humain ne comprenait toujours pas ce cerveau fait pour dominer dans l’action. Ainsi, il se condamnait à rejouer les mêmes conflits, les mêmes guerres et par là, il faisait éternellement rejaillir sa souffrance sur le monde. Un monde à l’image de ses synapses qui le dominent (voir le film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique »).

 D’un seul coup, je compris ce qui fit tellement sourire ma psychanalyste lorsqu’il y a trois ans je lui annonçais le titre ambigu de ma pièce de théâtre « Faut pas rêver ! ». Comme un éclair de préscience, ce titre révélait à merveille la contradiction magnifique de ce monde. On se plaît à rêver que l’on est enfin « égaux » et « fraternels » et « libres », mais en réalité qu’en est-il ?  Dans ce monde ou tout est construit pour nous fournir du « bonheur en boîte », dans ce monde où les frontières se sont ouvertes et élargies, permettant la « libre » circulation des biens et des personnes, dans ce monde qui peine à nous faire croire en ce beau rêve et qui aujourd’hui s’effrite et qui a bien du mal à cacher ses failles, qu’en est-il de nous ? Humains, hommes, femmes, enfants. Où sont donc ces libertés ? Où en sont nos institutions scolaires qui ont pour vocation d’aider le petit humain à grandir en harmonie, où en est la médecine qui a pour vocation de travailler avec un patient sur son harmonie perdue, où en est la justice qui a pour vocation de résoudre les conflits et de travailler sur la notion de responsabilité. Tous les métiers tournant autour de l’humain sont en grande difficulté, toute discipline ne s’exerçant pas dans les champs, de l’exactitude, de la rentabilité, de l’efficience, a bien du mal à s’appliquer. Depuis maintenant des décennies une énorme machine de pouvoir et d’argent c’est mise en route, et l’humain à son service se voit contraint de se soumettre à sa tyrannie.

On avait voulu l’égalité, et c’est vrai que nous sommes égaux, nous mangeons tous les mêmes aliments, qui cheminent par les mêmes circuits, nous portons les mêmes vêtements qui sont tous fabriqués selon les mêmes normes, nous consommons les mêmes médicaments et nous bénéficions des mêmes traitements, les graines que nous faisons pousser dans nos champs proviennent des mêmes distributeurs, et nous mettons nos enfants au monde selon les mêmes pratiques, nous recevons tous le même carnet de santé, et les mêmes langes dans les hôpitaux, nous possédons tous la même machine à « expresso » qui tombera en panne dans les mêmes délais. Et c’est ainsi que depuis le plus jeune âge, tout être n’étant pas suffisamment efficient, se retrouve avec les mêmes, dis orthophoniques, dyslexiques, hyper kinésiques, distraits, inadaptés, et bientôt en disgrâce et scientifiquement mit de côté, le monde les oubliera peu à peu, car ceux-là sont trop peu conformes pour participer à l’effort inconscient collectif et général de maintenir la toute puissance de la nation, la région, la culture, la famille, son petit chez soi. Une machine en totale contradiction avec nos rêves profonds d’êtres. Une réalité brutale où il faut gagner où perdre, mais où toujours pourtant tu te sens perdant. Alors plein d’un orgueil insupportable et ridicule nous nous accrochons et nous crions que nous avons fait la révolution, nous avons décapité les rois (le français a d’ailleurs souvent du mal à comprendre qu’en Belgique le roi est un symbole d’unification et de pacifisme et non pas un symbole de pouvoir tyrannique, on ne va donc pas lui couper la tête !), on a aucun mal à jeter son « égalité » à la face de l’autre dès lors que l’autre pense et conçoit de la même manière, on est « fraternels » au cours des deux dimanches par mois en famille ou entre amis entre l’entrée et le dessert, et on se croit « libres » car on peut l’ouvrir à tue tête pour assassiner l’autre de nos propres convictions, et pendant que « la belle basse cour » de Souchon discute, se distrait, se dispute, la machine à faire du rêve continue son travail.

Aujourd’hui, il faut que l’on me dise, où sont restés nos rêves à « être », coincés sans doute quelque part dans les engrenages de cette grande machine. Comme un grain de poussière… Un petit potentiel d’accident… Un providentiel et infime « Je pense donc je suis »… « Je pense donc je rêve » et sans nulle autre chose que ce minuscule « défaut » il se pourrait bien, bientôt, bientôt, que ça « bing » et que ça « bang »… Peut-être pour rien et retour au néant, où pour un autre monde peut-être, meilleur je le rêve. Voilà, je vais dormir dans mon paradis blanc-anc où les manchots s’amusent dès le soleil levant-ant, comme, comme, comme avant. (Michel Berger)