La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

mercredi 28 novembre 2012

Tant va la cruche à l'eau,...



(Hommage à Nathalie, Cathy,...Et toutes les autres)

C'était au temps où le temps n'existait pas...
Les femmes alors jouissaient de leur temps librement et suivaient le rythme de leur cœur, de leur corps et de leur intuition. Elles se donnaient à leurs enfants, à leurs maris, à leurs passions, à leurs solitudes, à leurs rêves, à leurs créations, à leurs souffrances, à leurs méditations, bref, elles se donnaient donc librement et sans compter. Chaque seconde étant accueillie comme un don car chaque seconde était nourrie d'elles-mêmes. En ce temps là, les femmes étaient toujours jolies, et même vieilles, elles rayonnaient, toujours plus, de cette grâce qu'elles possédaient à suivre leurs intuitions. Elles savaient aussi que l'on ne possède rien : ni l'amour, ni l'amitié, ni la terre, ni les Hommes, ni les biens, ni les gens, ni la santé, et ni même, le temps. Elles savaient dans leurs chairs, au plus profond d'elles mêmes, qu'un beau jour tout se sépare, tout est vie, tout est mouvement et qu'il ne sert à rien de vouloir retenir. En ce temps là donc, la Vie circulait librement et ce qui était donné, était toujours rendu, et la nature, seule, régulait magnifiquement ces mouvements dans une harmonie parfaite... De nombreuses femmes d'ailleurs célébraient par leurs passions cette Vie toute entière, certaines, par leurs danses, d'autres par l'écriture, d'autres encore par la peinture, d'autres par leurs prières et leurs chants, d'autres par leurs dons de guérisseuses, elles étaient riches de désirs et d'envies, donc, elles étaient belles...
Un jour funeste arriva pourtant. Et l'une d' entres elles, dont on m'a rapporté l'histoire, en paya le prix, gageons que la pauvre soit certainement une exception, car alors, à quoi servirait ce qu'elle endura, et à quoi serviraient les histoires ?
Elle portait le doux nom de Marie-Lou, elle adorait le bleu, elle aimait danser, et possédait la grâce d'un ange et le cœur d'un loup. Les gens aimaient Marie-Lou car elle n'était jamais en reste de donner un peu de lumière et de joie à tous ceux qui l'entouraient. En outre, elle était douée de naïveté, et cette énergie de l'enfance, la faisait appréciée, autant par les plus jeunes que par les plus vieux, les stupides, et les plus malins. L'idiot du village trouvait chez elle quelqu'un capable de le comprendre et, le philosophe, lui, trouvait en elle, toutes les questions chères à son activité de penseur.
Un jour donc, un jeune homme étrange arriva au village. Il semblait chercher quelqu'un ou quelque chose. Marie-Lou, audacieuse, allait s'enquérir de ce nouveau venu. Les vêtements de l'homme étaient tenus dans un soin extrême, il avait, de plus, le langage bien fait et de belles manières. Son visage gracieux semblait, pourtant, porté la marque d'une grande mélancolie et c'est l'air inquiet qu'il regardait Marie-Lou approcher. Cette dernière fût immédiatement séduite par cette si belle apparence mais aussi, et surtout, par cette blessure qu'elle sentait maintenant au fond de son cœur, et qui était comme un écho à la tristesse profonde et sourde qu'elle percevait chez l'étranger.
Il expliqua à Marie-Lou, qu'il voyageait depuis longtemps, allant de villages en villages et de villes en villes, pour y vendre une drôle de petite boîte de son invention, qui émettait de façon régulière un petit « tic-tac » obsédant. Ensuite cet homme réclama de l'eau, car il semblait fort assoiffé. Marie-Lou, partagée entre émerveillement et questionnement- à quoi pouvait bien servir ce petit objet?-, alla chercher une cruche bien faite et remplie d'eau, afin de servir l'homme.
Ensuite, elle, qui n'avait jamais eu à craindre personne, proposa le gîte à l'homme. Ce dernier accepta, reconnaissant et épuisé par cette longue marche qui lui semblait avoir duré l'éternité. Il s'installa donc et à la lueur des bougies, le soir venu, dans la chaleur et la douceur du foyer de Marie-Lou, il lui fit découvrir toutes ses magnifiques petites boîtes. C'était de pures merveilles, il y en avait de toutes les tailles, et de tous les métaux, il y en avait des précieuses, serties de pierres chatoyantes, d'autres ciselées en métal doré ou bien argenté. Il y en avait qui étaient gravées d'une petite phrase et qui sonnait si bien à l'oreille comme « Carpe Diem », mais, toutes produisaient ce petit bruit étonnant et fascinant. Ce même bruit, qui maintenant, envahissait la maison de Marie-Lou, et il semblait que cette chanson régulière vous hypnotisait. Ensuite l'homme alla se coucher, non sans avoir demandé à Marie-Lou de lui servir encore cette eau fraîche qui l'avait si bien désaltéré le matin même. Marie-Lou chercha la cruche et le servit, quand le soleil fût couché, elle alla s’aliter.
Et quand le soleil se leva, Marie-Lou fît de même... Elle préparait le repas, fît le feu, et tout cela en chantant et d'un pas joyeux, comme à l'habitude. L'homme était encore à se reposer. Quand celui-ci se réveilla, elle lui demanda à quoi pouvait bien servir ces petites boîtes et, qui pourrait en avoir un usage. Il lui expliqua alors que cet objet pouvait posséder le temps, et qu'ainsi, celui ou celle qui le possédait, posséderait le temps. Marie-Lou se réjouit d'abriter en sa maison un tel inventeur, un tel génie, et enthousiaste lui fit la promesse de l'aider à écouler ses petites boîtes magiques. Elle alla chercher la cruche, servit à boire à cet homme que rien ne semblait pouvoir désaltérer vraiment... Et la journée de labeur commença.
Ainsi, peu à peu, le village émerveillé, porté par l'enthousiasme et la confiance de Marie-Lou, eut vite fait de se partager, ce qui semblait aux yeux des habitants, un trésor dont seul l'étranger connaissait le mystère. Chacun s'extasiait de cette acquisition, trouvant la sienne plus jolie que celle de l'autre. Bientôt, plus une activité ne se faisait sans qu'un coup d’œil rapide ne soit jeté sur la petite boîte. Les femmes, les hommes et les enfants accomplissaient leurs activités au rythme du « tic-tac » obsédant... Marie-Lou ne se couchait plus à l'heure du soleil mais elle se couchait à heure fixe et cela lui donnait l'impression étrange d'avoir « gagné » un peu de temps pour le lendemain. Désormais, elle servait les repas à même heure, et encore réjouie, elle gagnait peu à peu du temps précieux pour ses passions et pour ceux qu'elle aimait sans compter. Elle remerciait le ciel de lui avoir envoyé cet inventeur brillant installé à demeure maintenant. Elle alla chercher la cruche et se servit un grand verre d'eau car elle avait très soif, puis elle alla rejoindre son homme pour la nuit.
Un jour, qu'elle préparait le repas entre huit et neuf heure, après avoir fait le feu à sept heure, et préoccupée, parce qu'à dix heures elle avait un rendez-vous important avec une femme malade à qui elle dispensait chaleur et soins, elle vit arriver, chez elle, l'idiot du village. Il avait l'air très agité car Marie-Lou, disait-il, n'était pas venue, la veille, faire des ronds dans l'eau avec lui : Marie-Lou allait toujours passer un moment près de la rivière pour faire des ricochets avec l'idiot et cela était bon et cela était bien. Elle expliqua vivement à l'idiot qu'elle n'en avait pas eu le temps, et qu'il  était inutile qu'il se mit dans tel état, elle lui promettait qu'avant le soir, si elle avait cinq minutes, elle le rejoindrait à la rivière. Lui expliquant encore, les yeux rivés sur le « tic-tac », qu'elle ne pouvait se libérer maintenant car la vieille « Mortemonde » l'attendait à dix heures précisément. L'idiot s'en alla enfin. Elle alla chercher la cruche car elle avait fort soif, et se rendit en courant chez la « Mortemonde ». Elle arriva trop tard : Hélas, la « Mortemonde » était morte cinq minutes plus tôt. Elle pleura beaucoup, et quand elle fût sèche, elle alla chercher la cruche et se servit un grand verre d'eau.
Sur le chemin du retour chez elle, elle observait les yeux mouillés, les femmes et les hommes et les enfants qu'elle avait tant aimés, cherchant peut-être dans cette vision, la paix de son âme. Mais ce qu'elle vit, elle ne le reconnut pas. Rien qui n'existait auparavant. Tout les hommes et toutes les femmes s'agitaient et couraient en tout sens, tous semblaient marqués par cette même tristesse qui marquait étrangement le visage de cet inventeur devenu son époux... Plus aucuns enfants ne souriaient, les vieilles et les vieux étaient comme prostrés et ressassaient sans cesse les histoires du passé, passé qui semblait lui même s'échapper sans cesse dans les méandres d'une mémoire vieillissante. La nature elle-même avait changé, les fruits étaient récoltés sans qu'il ne soit tenu compte de leur maturité, une femme accouchait de même, et les yeux rivés sur l'horloge, elle poussait dans de grandes douleurs un enfant trop petit et effrayé, les hommes se hâtaient de finir leur besogne, car les femmes pressées les voulaient à la maison, l'on se lavait, l'on mangeait, l'on s'amusait même à heure fixe, et celui ou celle qui ne le respectait pas, était aussitôt suspecté d'avoir usé malhonnêtement de son temps. Plus grave encore, chacun répétait « Je n'ai pas le temps » et semblait atteint d'une maladie étrange.
Elle même, Marie-Lou avait peu à peu délaissé les activités qui lui tenaient à cœur, la danse, le chant, l'étude des plantes, la peinture et le dessin, car elle n'en avait plus le temps. Elle se sentait exilée d'elle-même ; ces gens, ce village, tous ce qu'elle avait tant aimé, elle ne les reconnaissait plus. Elle aurait tant voulu rejoindre cet idiot pour faire des ronds dans l'eau et rire avec lui. Elle regagna sa maison, elle regarda cet étranger qu'elle même avait fait entrer. Il était maintenant gros et gras, il était toujours pressé d'en finir avec le repas, il était pressé de regagner cette couche et pressé de faire des câlins à Marie-Lou, parfois, il était pressé de dormir, pressé de se lever, il était pressé que vous cessiez de parler, il était maintenant un homme fortuné et il était même pressé de l'être plus, et partout, on demandait son invention et partout les gens étaient pressés de la lui acheter. Il lui demanda pressé:  « de l'eau ! » car il était assoiffé. Marie-Lou alla chercher la cruche, elle le servit et comme l'horloge indiquait déjà dix heures, elle alla se coucher.
Le lendemain à l'aube, quand le soleil se leva et que les oiseaux se mirent à chanter, Marie-Lou se leva, mais ce jour là, elle ne fit pas le feu, elle ne fit pas le repas, elle prit un petit papier et un crayon, elle y griffonna quelques mots à l'attention de cet époux, et elle quitta cette maison tant aimée pour ne jamais revenir. Sur le petit bout de papier était écrit : « La cruche est partie, elle s'est cassée !... ». L'homme n'a jamais compris...
On raconte que depuis ce jour, le monde est comme « séparé », exilé de lui-même, les femmes et les enfants sont séparés, les hommes et les femmes aussi, et tout ce qui vit sur la terre et dans le ciel, semble comme « séparé » du monde lui-même. Tous portent sur le visage une étrange tristesse, une mélancolie d'un temps disparu, les femmes sont laides et les hommes aussi, les enfants sont impatients et capricieux, et les choses et les êtres sont prisonniers d'eux-mêmes, l'amour et l'amitié sont comptés car dans ce monde tout se compte et tout se calcule à la lumière du moins de temps qu'il a fallu pour créer. L'amour et l'amitié et toutes choses qui supposent du temps deviennent rares, voir inexistantes. Et les femmes pleurent, et les hommes et les enfants aussi, car l'eau devient rare et ne suffit plus à arroser les terres devenues arides et ne suffit plus à remplir les cruches qu'il faudrait à ces humains pourtant, toujours assoiffés, jamais désaltérés.
Ah oui, avant de finir (le repas est sur le feu, il est neuf heure) ! Quelqu'un m'a dit que Marie-Lou après avoir quitté cette maison, a vécu seule, loin de cette agitation, elle dansait et chantait pour elle même, elle vivait au fond des bois, et quand on la croisait on ne lui adressait pas la parole, on l'appelait « sorcière », elle se levait au lever du soleil, et se couchait avec lui, elle regagnait parfois cette rivière qu'elle aimait tant et l'on dit qu'on l'y a vue faire des ronds dans l'eau en riant avec l'idiot du village. Oh ! Une dernière chose (mais est- ce important ?) : Quand elle a soif, elle n'utilise jamais la cruche, elle boit à la source !

2 commentaires:

  1. Juste Ma Gni Fi Que !!!!!
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    Patricia

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  2. Merci beaucoup, première réaction... Et pour moi, première petite étincelle qui me dit: "continue!"

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