(Hommage
à Nathalie, Cathy,...Et toutes les autres)
C'était
au temps où le temps n'existait pas...
Les femmes alors
jouissaient de leur temps librement et suivaient le rythme de leur
cœur, de leur corps et de leur intuition. Elles se donnaient à
leurs enfants, à leurs maris, à leurs passions, à leurs solitudes,
à leurs rêves, à leurs créations, à leurs souffrances, à leurs
méditations, bref, elles se donnaient donc librement et sans
compter. Chaque seconde étant accueillie comme un don car chaque
seconde était nourrie d'elles-mêmes. En ce temps là, les femmes
étaient toujours jolies, et même vieilles, elles rayonnaient,
toujours plus, de cette grâce qu'elles possédaient à suivre leurs
intuitions. Elles savaient aussi que l'on ne possède rien : ni
l'amour, ni l'amitié, ni la terre, ni les Hommes, ni les biens, ni
les gens, ni la santé, et ni même, le temps. Elles savaient dans
leurs chairs, au plus profond d'elles mêmes, qu'un beau jour tout se
sépare, tout est vie, tout est mouvement et qu'il ne sert à rien de
vouloir retenir. En ce temps là donc, la Vie circulait librement et
ce qui était donné, était toujours rendu, et la nature, seule,
régulait magnifiquement ces mouvements dans une harmonie parfaite...
De nombreuses femmes d'ailleurs célébraient par leurs passions
cette Vie toute entière, certaines, par leurs danses, d'autres par
l'écriture, d'autres encore par la peinture, d'autres par leurs
prières et leurs chants, d'autres par leurs dons de guérisseuses,
elles étaient riches de désirs et d'envies, donc, elles étaient
belles...
Un
jour funeste arriva pourtant. Et l'une d' entres elles, dont on m'a
rapporté l'histoire, en paya le prix, gageons que la pauvre soit
certainement une exception, car alors, à quoi servirait ce qu'elle
endura, et à quoi serviraient les histoires ?
Elle
portait le doux nom de Marie-Lou, elle adorait le bleu, elle aimait
danser, et possédait la grâce d'un ange et le cœur d'un loup. Les
gens aimaient Marie-Lou car elle n'était jamais en reste de donner
un peu de lumière et de joie à tous ceux qui l'entouraient. En
outre, elle était douée de naïveté, et cette énergie de
l'enfance, la faisait appréciée, autant par les plus jeunes que par
les plus vieux, les stupides, et les plus malins. L'idiot du village
trouvait chez elle quelqu'un capable de le comprendre et, le
philosophe, lui, trouvait en elle, toutes les questions chères à
son activité de penseur.
Un
jour donc, un jeune homme étrange arriva au village. Il semblait
chercher quelqu'un ou quelque chose. Marie-Lou, audacieuse, allait
s'enquérir de ce nouveau venu. Les vêtements de l'homme étaient
tenus dans un soin extrême, il avait, de plus, le langage bien fait
et de belles manières. Son visage gracieux semblait, pourtant, porté
la marque d'une grande mélancolie et c'est l'air inquiet qu'il
regardait Marie-Lou approcher. Cette dernière fût immédiatement
séduite par cette si belle apparence mais aussi, et surtout, par
cette blessure qu'elle sentait maintenant au fond de son cœur, et
qui était comme un écho à la tristesse profonde et sourde qu'elle
percevait chez l'étranger.
Il
expliqua à Marie-Lou, qu'il voyageait depuis longtemps, allant de
villages en villages et de villes en villes, pour y vendre une drôle
de petite boîte de son invention, qui émettait de façon régulière
un petit « tic-tac » obsédant. Ensuite cet homme réclama
de l'eau, car il semblait fort assoiffé. Marie-Lou, partagée entre
émerveillement et questionnement- à quoi pouvait bien servir ce
petit objet?-, alla chercher une cruche bien faite et remplie d'eau,
afin de servir l'homme.
Ensuite,
elle, qui n'avait jamais eu à craindre personne, proposa le gîte à
l'homme. Ce dernier accepta, reconnaissant et épuisé par cette
longue marche qui lui semblait avoir duré l'éternité. Il
s'installa donc et à la lueur des bougies, le soir venu, dans la
chaleur et la douceur du foyer de Marie-Lou, il lui fit découvrir
toutes ses magnifiques petites boîtes. C'était de pures merveilles,
il y en avait de toutes les tailles, et de tous les métaux, il y en
avait des précieuses, serties de pierres chatoyantes, d'autres
ciselées en métal doré ou bien argenté. Il y en avait qui étaient
gravées d'une petite phrase et qui sonnait si bien à l'oreille
comme « Carpe Diem », mais, toutes produisaient ce petit
bruit étonnant et fascinant. Ce même bruit, qui maintenant,
envahissait la maison de Marie-Lou, et il semblait que cette chanson
régulière vous hypnotisait. Ensuite l'homme alla se coucher, non
sans avoir demandé à Marie-Lou de lui servir encore cette eau
fraîche qui l'avait si bien désaltéré le matin même. Marie-Lou
chercha la cruche et le servit, quand le soleil fût couché, elle
alla s’aliter.
Et
quand le soleil se leva, Marie-Lou fît de même... Elle préparait
le repas, fît le feu, et tout cela en chantant et d'un pas joyeux,
comme à l'habitude. L'homme était encore à se reposer. Quand
celui-ci se réveilla, elle lui demanda à quoi pouvait bien servir
ces petites boîtes et, qui pourrait en avoir un usage. Il lui
expliqua alors que cet objet pouvait posséder le temps, et qu'ainsi,
celui ou celle qui le possédait, posséderait le temps. Marie-Lou se
réjouit d'abriter en sa maison un tel inventeur, un tel génie, et
enthousiaste lui fit la promesse de l'aider à écouler ses petites
boîtes magiques. Elle alla chercher la cruche, servit à boire à
cet homme que rien ne semblait pouvoir désaltérer vraiment... Et la
journée de labeur commença.
Ainsi,
peu à peu, le village émerveillé, porté par l'enthousiasme et la
confiance de Marie-Lou, eut vite fait de se partager, ce qui semblait
aux yeux des habitants, un trésor dont seul l'étranger connaissait
le mystère. Chacun s'extasiait de cette acquisition, trouvant la
sienne plus jolie que celle de l'autre. Bientôt, plus une activité
ne se faisait sans qu'un coup d’œil rapide ne soit jeté sur la
petite boîte. Les femmes, les hommes et les enfants accomplissaient
leurs activités au rythme du « tic-tac » obsédant...
Marie-Lou ne se couchait plus à l'heure du soleil mais elle se
couchait à heure fixe et cela lui donnait l'impression étrange
d'avoir « gagné » un peu de temps pour le lendemain.
Désormais, elle servait les repas à même heure, et encore réjouie,
elle gagnait peu à peu du temps précieux pour ses passions et pour
ceux qu'elle aimait sans compter. Elle remerciait le ciel de lui
avoir envoyé cet inventeur brillant installé à demeure maintenant.
Elle alla chercher la cruche et se servit un grand verre d'eau car
elle avait très soif, puis elle alla rejoindre son homme pour la
nuit.
Un
jour, qu'elle préparait le repas entre huit et neuf heure, après
avoir fait le feu à sept heure, et préoccupée, parce qu'à dix
heures elle avait un rendez-vous important avec une femme malade à qui elle dispensait chaleur et soins, elle vit arriver, chez elle,
l'idiot du village. Il avait l'air très agité car Marie-Lou,
disait-il, n'était pas venue, la veille, faire des ronds dans l'eau
avec lui : Marie-Lou allait toujours passer un moment près de
la rivière pour faire des ricochets avec l'idiot et cela était bon
et cela était bien. Elle expliqua vivement à l'idiot qu'elle n'en
avait pas eu le temps, et qu'il était inutile qu'il se mit
dans tel état, elle lui promettait qu'avant le soir, si elle avait
cinq minutes, elle le rejoindrait à la rivière. Lui expliquant
encore, les yeux rivés sur le « tic-tac », qu'elle ne
pouvait se libérer maintenant car la vieille « Mortemonde »
l'attendait à dix heures précisément. L'idiot s'en alla enfin.
Elle alla chercher la cruche car elle avait fort soif, et se rendit
en courant chez la « Mortemonde ». Elle arriva trop
tard : Hélas, la « Mortemonde » était morte cinq
minutes plus tôt. Elle pleura beaucoup, et quand elle fût sèche,
elle alla chercher la cruche et se servit un grand verre d'eau.
Sur
le chemin du retour chez elle, elle observait les yeux mouillés, les
femmes et les hommes et les enfants qu'elle avait tant aimés,
cherchant peut-être dans cette vision, la paix de son âme. Mais ce
qu'elle vit, elle ne le reconnut pas. Rien qui n'existait auparavant.
Tout les hommes et toutes les femmes s'agitaient et couraient en tout
sens, tous semblaient marqués par cette même tristesse qui marquait
étrangement le visage de cet inventeur devenu son époux... Plus
aucuns enfants ne souriaient, les vieilles et les vieux étaient
comme prostrés et ressassaient sans cesse les histoires du passé,
passé qui semblait lui même s'échapper sans cesse dans les
méandres d'une mémoire vieillissante. La nature elle-même avait
changé, les fruits étaient récoltés sans qu'il ne soit tenu
compte de leur maturité, une femme accouchait de même, et les yeux
rivés sur l'horloge, elle poussait dans de grandes douleurs un
enfant trop petit et effrayé, les hommes se hâtaient de finir leur
besogne, car les femmes pressées les voulaient à la maison, l'on se
lavait, l'on mangeait, l'on s'amusait même à heure fixe, et celui
ou celle qui ne le respectait pas, était aussitôt suspecté d'avoir
usé malhonnêtement de son temps. Plus grave encore, chacun
répétait « Je n'ai pas le temps » et semblait atteint
d'une maladie étrange.
Elle
même, Marie-Lou avait peu à peu délaissé les activités qui lui
tenaient à cœur, la danse, le chant, l'étude des plantes, la
peinture et le dessin, car elle n'en avait plus le temps. Elle se
sentait exilée d'elle-même ; ces gens, ce village, tous ce
qu'elle avait tant aimé, elle ne les reconnaissait plus. Elle aurait
tant voulu rejoindre cet idiot pour faire des ronds dans l'eau et
rire avec lui. Elle regagna sa maison, elle regarda cet étranger
qu'elle même avait fait entrer. Il était maintenant gros et gras,
il était toujours pressé d'en finir avec le repas, il était pressé
de regagner cette couche et pressé de faire des câlins à
Marie-Lou, parfois, il était pressé de dormir, pressé de se lever,
il était pressé que vous cessiez de parler, il était maintenant un
homme fortuné et il était même pressé de l'être plus, et
partout, on demandait son invention et partout les gens étaient
pressés de la lui acheter. Il lui demanda pressé: « de
l'eau ! » car il était assoiffé. Marie-Lou alla chercher
la cruche, elle le servit et comme l'horloge indiquait déjà dix
heures, elle alla se coucher.
Le
lendemain à l'aube, quand le soleil se leva et que les oiseaux se
mirent à chanter, Marie-Lou se leva, mais ce jour là, elle ne fit
pas le feu, elle ne fit pas le repas, elle prit un petit papier et un
crayon, elle y griffonna quelques mots à l'attention de cet époux,
et elle quitta cette maison tant aimée pour ne jamais revenir. Sur
le petit bout de papier était écrit : « La cruche est
partie, elle s'est cassée !... ». L'homme n'a jamais
compris...
On
raconte que depuis ce jour, le monde est comme « séparé »,
exilé de lui-même, les femmes et les enfants sont séparés, les
hommes et les femmes aussi, et tout ce qui vit sur la terre et dans
le ciel, semble comme « séparé » du monde lui-même.
Tous portent sur le visage une étrange tristesse, une mélancolie
d'un temps disparu, les femmes sont laides et les hommes aussi, les
enfants sont impatients et capricieux, et les choses et les êtres
sont prisonniers d'eux-mêmes, l'amour et l'amitié sont comptés car
dans ce monde tout se compte et tout se calcule à la lumière du
moins de temps qu'il a fallu pour créer. L'amour et l'amitié et
toutes choses qui supposent du temps deviennent rares, voir
inexistantes. Et les femmes pleurent, et les hommes et les enfants
aussi, car l'eau devient rare et ne suffit plus à arroser les terres
devenues arides et ne suffit plus à remplir les cruches qu'il
faudrait à ces humains pourtant, toujours assoiffés, jamais désaltérés.
Ah
oui, avant de finir (le repas est sur le feu, il est neuf heure) !
Quelqu'un m'a dit que Marie-Lou après avoir quitté cette maison, a
vécu seule, loin de cette agitation, elle dansait et chantait pour
elle même, elle vivait au fond des bois, et quand on la croisait on
ne lui adressait pas la parole, on l'appelait « sorcière »,
elle se levait au lever du soleil, et se couchait avec lui, elle
regagnait parfois cette rivière qu'elle aimait tant et l'on dit
qu'on l'y a vue faire des ronds dans l'eau en riant avec l'idiot du
village. Oh ! Une dernière chose (mais est- ce important ?) :
Quand elle a soif, elle n'utilise jamais la cruche, elle boit à la
source !
Juste Ma Gni Fi Que !!!!!
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Patricia
Merci beaucoup, première réaction... Et pour moi, première petite étincelle qui me dit: "continue!"
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