Quittant Carcassonne et sa morosité,
nous nous installons le long des berges du canal du midi, dans la
douceur du pays minervois, à Homps. Village et petit port pour les
bateaux de tourisme et les péniches qui sillonnent le canal: huit
restaurants, un coiffeur, un boulodrome, et le lac de Jouarres, non
loin, pour se baigner, Homps invite à la paix. La région est
venteuse et nous craignons d'être confrontés à nouveau aux
problèmes de tenue de notre petit théâtre face aux facéties du
dieu Eole. Il n'en sera rien, nous orientons notre roulotte de sorte
qu'elle fasse écran au vent puissant d'Ouest (le Cers). Nous serons
de même épargnés par les orages qui feront preuve de bon goût en
frappant nos jours de relâche, épargnant ainsi les jours de jeu.
Nous n'aurons donc aucune annulation et nous donnerons huit
représentations avec une moyenne de 46 spectateurs. Ainsi, nous
redresserons la barre économique, et nous éviterons la banqueroute.
Bref, vraiment pas mal, pour un tout petit village, et aucun
démarchage de notre part chez les commerçants: notre communication, ici, s'étant
réduite aux passages dans les marchés de Lezignan et Olonzac avec
« criée et accordéon» et distribution de cartes
postales imprimées à nos effigies que nous avions encore en stock,
(évitant ainsi des dépenses en frais d'impression et un surcroît
de fatigue), sont assurés aussi des passages quotidiens dans le village de Homps et aux
abords du lac de Jouarres. Nous serons très bien accueillis par la
mairie, les commerçants et la capitainerie. Ouf, car la grande
nouvelle pour ceux qui l'ignoraient encore est que nos enfants
veulent tous s'essayer à l'école!... Nous avions donc, Xavier et
moi, décidé d'écourter notre saison de jeu et de finir plus tôt
que nos autres saisons (fin Août au lieu de fin Octobre), pour nous
permettre de résoudre rapidement les multiples questions posées par
leurs souhaits et évaluer les conséquences directes de leurs choix
sur notre mode de vie. Deux mois de moins donc pour travailler et
cela dans un contexte économique déjà difficile pour nous cette
année. (Année d'élection= saison difficile).
Ainsi donc, à Homps, nous aurons la
joie de revoir notre ami Dan. Ce dernier allait m'offrir une occasion
de raconter une belle histoire. Le soir même d'une représentation,
il nous téléphonera en rentrant chez lui, nous demandant inquiet et
sans grand espoir, si nous n'aurions pas trouvé un petit pendentif
en argent qu'il avait perdu et auquel il tenait beaucoup. « C'est
incroyable !!! » répondions-nous, « figure- toi,
qu'après la représentation, Erwenn est venu nous voir, ton petit
pendentif en main ». Erwenn, les yeux brillants, semblait très
fier de sa découverte, son petit trésor! Examinant la trouvaille,
je me demandais de quoi il s'agissait ; le petit pendentif
s'approchait de la lettre « F » tout en n'en n'étant pas
l'exacte copie. Je mis le bijou de côté, ma curiosité
insatisfaite, et il resta là posé sur notre carnet d'or, jusqu'au
coup de téléphone de Dan. Je compris qu'il s'agissait d'un trésor
quand notre ami, soulagé, m'en expliqua le sens. « C'est un
signe en hébreu qui signifie la vie , je ne m'en sépare
jamais! » Dan à vécu à Jérusalem, il est archéologue,
polyglottes, et musicien doué. Je souris, honorée d'être garante
de ce bijou auquel il tenait tant. Je pensais : « c'est donc à la vie qu'il s' accroche, la vie symbolisée dans ce minuscule morceau de
métal ». Il croyait peut-être l'avoir perdue lorsque le bijou
avait glissé de son cou, et voilà qu' Erwenn, le plus jeune et le
plus solaire de mes enfants, retrouvait sur le champs ce minuscule objet. Le trésor était « la Vie », et « la
Vie » était à l'abri chez nous, attendant sagement dans une
boîte d'être rendue à mon ami Dan... Dan sans le savoir avait
déposé un instant la vie dans ma boîte à bijou...
Et à Homps, nous aurons vécu toute
la puissance de ce que nous nommons la vie. Les retrouvailles de
Nelly, qui m'offrira un magnifique livre « Paroles de femmes »,
sa maman Anne-Marie, la petite Emma, les amis Bernard et Céline
venus de Belgique pour les vacances et qui viendront nous découvrir
sur scène après dix ans de vie chacuns de nos côtés, puis nous
nous dirons à nouveau au-revoir, nos enfants qui revoient
leurs grands- parents, les rencontres avec, l'amoureux de Nelly, les
touristes du Maquis (camping alternatif dans le Minervois), des
flamands venus vivre et s' installés dans le Gard, nous
rencontrerons des gens sympathiques et drôles sur une terrasse
d'Olonzac, Raphaël serveur au « Tonnelier » à Homps et
la patronne de Raphaël, la marraine de Céline vivant à Albi et une
moitié de l'année en Tunisie, nous reverrons la dame « aux
échecs » d'Albas et sa petite fille, Luc des corbières et ses
enfants, la compagnie de « l'arbrasonge » préparant son
nouveau spectacle « le son des cailloux », nos enfants
recevront des bracelets brésiliens d'une spectatrice émue, et puis
Paulo (charpentier et constructeur de roulottes qui nous invite
d'emblée à venir le voir sur les hauteurs de Félines Minervois)...
Mon dieu, tout un petit monde de rencontres riche, de différences,
de singularités, de joies et de doutes, réunit sous notre modeste
théâtre. Ceux que l'on revoit, ceux que l'on quitte, ceux que l'on
ne reverra sans doute plus, regards et sourires croisés échangés,
complicités nouvelles, foisonnement d'émotions, gisantes sous la
peau lisse ou ridée, émotions que l'on partage et où l'on se
baigne, larmes de joie et de peine, courant d'eau et de rires dans
lequel on se voit, on se regarde vraiment : instant et espace
particulier où l'on se sent terriblement en « Vie ».
Comme une confirmation, un spectateur flamand me dit cherchant les
mots, avec son accent de là-bas et en roulant les « R » :
« Merrrrci, vrrraiment, c'est beaucoup plus qu'un spectacle que j'ai
vu ce soirrr... C'est... C'est tellement.... ». J'essaie
prudente de l'aider : « … Revigorant? ». « Sorry,
mais je comprrrend pas ce mot. » Je réessaye :
« Vivant? ». Il confirme : « OUI ! C'est
ça... C'est... Allé... Comment je dis... C'est... Spirrrituel. ».
Tout le monde rit, le mot est dit. J'enchaîne comblée :
« C'est ça ! C'est exactement ce que nous tentons de
faire : remettre du sens, réveiller le sens, recréer le sens,
retrouver le sens... » C'est pour moi, une urgence de ce
monde : reconnecter les êtres à ce qu'ils ont de plus
précieux, à leur source intime et personnelle et cela par cet art
particulier que l'on appelle le théâtre. Quelques jours plus tard,
alors que nous allions être pris dans les courants les plus
tumultueux de nos émotions, il nous faudra faire le grand écart
entre les joies les plus grandes et les douleurs les plus terribles.
Car notre séjour sur Homps se
terminera par un deuil et... un mariage le lendemain! La toute petite
Eline, deux semaines à peine, passée dans ce monde comme un souffle
pur, s'en est allée pour retourner vers le mystère d'où nous
venons tous, face à la douleur extraordinaire de mes amis
nouvellement parents, il était impossible de trouver le moindre mot
apaisant, seule la présence bienveillante pouvait peut-être les
accompagner. Face aux yeux clos sur le mystère de la petite Eline,
si jolie, si parfaite, je ne pouvais qu'interroger la « Vie »
et méditer sur sa fragilité et son miracle: nous étions tous
appeler à travailler à l'essentiel et à nous éloigner du futile,
je promettais devant Eline de m'y essayer le plus souvent possible,
et me rappelais que l'essentiel était de travailler dans la
conscience d'être partie d'un tout. Il fallait donc créer du lien
tout en travaillant quotidiennement à rester en lien avec le cœur.
Car dans le cœur, aucune frontière, aucun jugement, aucun conflit,
juste la paix immense que procure la conscience de savoir aimer et
être aimer. Quittant la Haute vallée et laissant mon ami, le papa
d'Eline, je me préparais à jouer ce soir pour eux, et à leurs
envoyer autant d'énergie de vie qu'il m'était possible de créer
par mon travail.
Le lendemain, fatiguée et triste, je
me rendais à Quillan, chez mes amis, « Guillaume le
conquérant » le mécano, et sa compagne, « Emilie la très
jolie », immédiatement je fus prise par le tourbillon de joie
dont ils savent s'entourer, mes amis s'étaient mariés, et nous
venions accompagner de nos vœux leur cérémonie en prestant le duo
de la « Dame Oiseau » et du « Bigleux ».
Notre cadeau fût très apprécié par nos amis et leurs convives.
Ils nous ont offert le repas et le verre. Pas le temps pourtant de s'attarder,
nous sommes repartis aussi vite pour regagner le Minervois et nous
préparer à jouer le spectacle du soir. Nous avons eu le plaisir de
revoir « Eric le doux » le garagiste à la valise
rencontré lors de notre panne à Limoux. Et nous avons terminé
notre saison sur cette représentation chargée des énergies
joyeuses et vivifiantes du mariage de Guillaume et d' Emilie.
C'est ainsi, que sur deux jours à
peine, écartelée entre les peines les plus indicibles et les
promesses de joies les plus grandes, je regardais toute cette
« Vie », je recevais en pleine face toute la violence des
forces de la « vie », je me débattais submergée, je
hoquetais dans les sanglots, je pleurais puis riais sans répit,
puis, un moment, je lâchai prise, juste témoin attentif d'un
instant de vie, et au-delà des souffrances et des joies, au-delà
des mots ou des silences, au-delà de la fatigue, au-delà des
questions, se posait soudain toute l'évidence magnifique du
privilège incroyable d' ETRE... Là... Ici... « Seule »
et pourtant « avec »... Reliée aux autres par une petite
chaîne légère en argent, un fil subtil, et ici et là, accroché comme un
rappel, un petit bout de métal en forme de « F » que parfois l'on croit avoir perdu, un
signe en hébreu qui rappelle que l'on est en Vie. Dan, mon ami, pouvait être rassuré, le hasard avait "perdu" la "vie" chez nous, et oui, Erwenn pouvait être fier, il avait bel et
bien trouver un trésor... Et les vrais trésors, bien sûr, n'ont
pas de prix.
Merci pour cette belle rencontre avec Paulo....pour ne pas être triste, j'ai une devise "se souvenir des belles choses" et j'ajouterai des belles rencontres, qui nous redonne de l'espoir et de la joie. Merci pour votre présence par la gazette... je reste près de vous.
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