La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

dimanche 21 septembre 2014

C'est la rentrée...dans le lard!

La grille d'entrée du Domaine de Gaure

Ce que nous savions depuis le mois de Juin, c'est que nous devrions nous poser quelque part pour résoudre les questions liées aux choix de nos enfants d'intégrer l'école... Quelques deux semaines avant la fin avancée de notre saison (fin Août) nous ne savions toujours pas où, ni comment nous allions résoudre nos multiples préoccupations. Il est, en effet, très compliqué de s'arrêter sur les problèmes tout en assumant les contraintes d'une tournée (temps de route, montage, démontage, représentation, intendance, rencontre avec le public, distribution de plaquettes et affichage...). Mais heureusement, sans doute, cette vie d'aventure nous avait appris le « lâcher prise ». Nous attendions donc le hasard...

Le hasard fit bien les choses, puisque Dan, (un spectateur nous ayant rencontrés à Carcassonne), et habitant Rouffiac, (entre Limoux et Carcassonne), nous proposa de rencontrer la Mairie afin d'étudier les possibilités d'un accueil provisoire sur ce secteur. Après enquête, Dan nous communique les coordonnées d'un homme possédant un grand domaine sur le village, peut-être susceptible de nous y accueillir. Sans tarder, nous profitions donc d'un jour de relâche de la fin du mois d'Août pour contacter le monsieur en question. On nous l'avait présenté par téléphone comme « un belge qui possède plusieurs gîtes ». Xavier téléphone : « Oui bonjour... Nous sommes une petite compagnie de théâtre et nous cherchons un lieu pour nous y poser afin de résoudre de multiples problèmes : trouver des écoles pour nos enfants, redémarrer une nouvelle création à deux... On nous a parlé de vous, et on nous a dit que vous étiez belge installé dans un domaine, vous aviez des bâtiments à louer, de l'espace pour y poser des roulottes, et que votre domaine était situé non loin de Carcassonne... ». Pierre (le propriétaire) répond un peu ennuyé : « Alors là, je vous arrête... Je ne suis pas belge, mais les gens me prennent pour un belge car j'y ai vécu 24 ans, de plus, je ne possède rien à louer, mais là encore les gens pensent que je loue des bâtiments, car pendant la période des vendanges certains de mes bâtiments accueillent mes ouvriers, je possède en effet de nombreux bâtiments mais ils ne sont pas destinés à la location,... Non, je crois que je ne peux malheureusement pas vous aider. »Alors que Xavier s'apprête à raccrocher en s'excusant de l'avoir dérangé, Pierre demande prudemment : « Mais, excusez-moi, vous n'auriez pas un petit accent?... belge ?... » Xavier rigole : « Oui, nous sommes belges, ça fait 10 ans que nous avons quitté la Belgique » Pierre, enthousiaste : « Mais attendez ! Ça change tout, si vous voulez on peut se voir demain... Attendez, je regarde mon emploi du temps... Non, si vous voulez on peut même se voir aujourd'hui, disons, dans une heure? » Xavier, qui n'en revient pas : « Oui, d'accord, nous sommes là dans une heure! »

Nous voilà donc en route vers le Domaine de Gaure, pour rencontrer son propriétaire et évaluer les possibilités ou non d'une aide pour la rentrée qui déjà se profile: dans dix jours nos enfants devraient tous être inscrits dans des écoles. La grille majestueuse du Domaine m'impressionne et je me sens toute petite à côté de la grandeur des bâtiments, de la beauté des arbres. Nous rencontrons Arnaud (le fils du propriétaire) qui joue sur le pas de la maison principale, Arnaud appelle son père, la maman d'Arnaud Alla nous invite à attendre ce dernier dehors. Nous sommes donc assis à la petite table en fer devant la maison. Pierre apparaît, il vient s'asseoir, nous nous présentons, nous lui expliquons notre situation, nous parlons de notre parcours, des raisons ayant conduit nos choix (notre vie en roulotte, l'instruction de nos enfants, le théâtre...) et à travers notre récit Pierre devine et tente de comprendre un peu qui nous sommes. Il conclut en disant : « Il n'y a aucun problème, vous venez quand vous voulez, je vous fait visiter le Domaine, et vu l'urgence , je suggère de faire un premier repérage pour évaluer où vous pourriez poser votre convoi. » A la question de la durée, il ne voit pas d'obstacle, si nous partons vite, c'est pas grave, si nous restons, c'est pas grave, si nous avons besoin d'une salle de travail, il y a la salle de réception du Domaine, si nous voulons poser une yourte pour plus de confort, nous pouvons le faire, si nous avions besoin d'une maison, il est prêt à accélérer quelques travaux pour nous louer une des maisons qu'il possède. Bref, toutes les possibilités sont ouvertes. Et comme nous manquons de certitude quant à notre avenir, nous sommes soulagés; nous pourrons enfin quitter la maison de Croux que nous louions sans plus l'occuper depuis le début de notre périple, nous pourrons trouver des écoles sachant maintenant où nous poserons notre convoi, et nous pourrons peut-être commencer une autre création pour sauver notre activité. Pierre a d'un seul coup résolu une série de problèmes auxquels nous n'avions pas de réponse.

C'est ainsi que depuis la toute fin du mois d'Août nous sommes posés sur le Domaine de Gaure. Sans tarder, nous inscrivons nos deux enfants Mado et Gaspard au collège de Varsovie sur Carcassonne, quant à Ysaline, elle continuera une année supplémentaire au Cned tout en suivant une préparation à son entrée dans un lycée musique (programme suivi à la Fabrique des Arts), et Erwenn, lui, est inscrit sur l'école privée et alternative « la Calandretta » à Limoux. Nous avons signifié notre renom et préparé notre départ de Croux. Ouf, tout le monde est casé dans son nouvel emploi du temps!

Le premier jour de rentrée d'Erwenn, il hurle et quitte l'école poursuivit par sa maîtresse qui lui explique qu'il ne pourra jamais quitter le lieu seul! Mado et Gaspard reviennent du collège super heureux... Les jours suivants, Erwenn y va en sifflotant (son adaptation fût très rapide), Gaspard et Mado, quant à eux, montrent des signes de stress. Plusieurs incursions à l'infirmerie leurs sont nécessaires. L'infirmière nous conseille de donner à Gaspard un traitement homéopathique contre le stress et les états d'angoisse. Rendez-vous fût pris avec le principal, lorsque Gaspard revint un soir dans tout ses états ayant vécu des réprimandes de la part d'un de ses professeurs, réprimandes qu'il ne comprenait pas, ayant, d'après lui, fait tout ce qu'on lui demandait.

Quant à nous, nous nous retrouvions, submergés par les papiers à signer, écrasés par la logique scolaire, exténués par les multiples allés et retours n'ayant pas de navette pour Erwenn, et, ne pouvant mettre Mado et Gaspard dans le bus ne comprenant toujours pas les horaires et trajets des réseaux et ne voulant pas soumettre Gaspard et Mado à un effort de plus. Nous nous retrouvions, perplexes par rapport au poids hallucinant des cartables, partagés par l'obligation de les faire vacciner et notre logique qui nous imposait de ne pas le faire, accablés nous étions face à la logique des évaluations auxquelles les enfants sont astreints de répondre dans des temps insupportablement courts, étant alors pénalisés par des points qui frôlent le zéro, et ce, sans qu'il ne soit tenu compte de leur grande volonté à faire au mieux.

Car, si le discours est souvent ouvert et tolérant, si le discours des personnes chargées de l'instruction de nos enfants semble même accueillir parfois notre réflexion singulière sur: la violence de l'école, l'injustice de ce système, le questionnement qui est le nôtre sur le stress comme moteur à l'apprentissage, le système des cotations, la sur dose des devoirs et des informations entraînant peu à peu l'absence totale de temps libre, si donc dans le discours les choses sont parfois bien entendues, la réalité est tout autre. La logique de, compétitivité, d'efficience, et, de recherche de résultats par des cotations, des évaluations, des contrôles, cette logique passe à la broyeuse les valeurs de bien-être, d'harmonie, de créativité, de santé, de curiosité naturelle que possèdent pourtant les enfants. L'enfant est alors accompagné par une CPE, accueilli par une infirmière, soumis aux médicaments, accompagné comme un malade alors qu'il souffre de stress et qu'aucun des intervenants ne semblent vouloir ou pouvoir mettre en question les causes qui déclenchent la « maladie ». Tout ceci va bien entendu à l'encontre de toutes nos convictions, et face à « l'adjoint au principal » qui me regardait défendre la cause de Gaspard, je m'entendais lui dire sur le ton, hélas, de la convaincue (dans convaincue, il y a con et il y a vaincue) : « Vous dites que cette violence à laquelle mes enfants sont confrontés à l 'école est normale au prétexte que cette violence est la violence de la vie ?! Mais vous savez, à 45 ans, j'ai 45 ans, je considère encore et toujours que la violence n'est pas souhaitable, ni à l'école, ni dans la vie, dois-je donc me considérer comme inadaptée? Et dois-je espérer que l'adaptation de mes enfants passera donc forcément par la violence quand ils finiront par la considérer comme banale? ».

Je quittai l'école, murée en moi-même, avec ce sentiment troublant et familier d'être « étrange ». Ayant tenté d'incarner dans ma vie les valeurs qui sont les miennes, ayant tenté de faire des choix libérés et éclairés loin des peurs des autres, ayant tenté de travailler sur la seule question de la paix qui commence avec la paix de soi, ayant, pour cela parfois, choisi l'inconfort, l'insécurité, et la solitude, défaisant parfois les liens de relations familiales ou amicales par trop étouffantes, voilà que, par le biais de mes enfants, ce système, ce monde que je ne comprenais pas et que je supportais vaguement par le truchement de la scène, de la poésie et du jeu, voilà que je faisais, moi aussi, une rentrée, qui sonnait plutôt comme un « retour » dans un monde à la logique implacable : un monde ou l'humain n'est plus considéré qu'à la lumière de ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, une machine qui produit ou ne produit pas. Un monde aliénant et aliéné, ou la seule valeur est aujourd'hui celle du « pouvoir », un pouvoir lui-même réduit à la logique de l'argent et de la rentabilité par le sacro-saint « pouvoir d'achat ». Un monde de corruption qui n'hésite pas à produire de belles théories comme « les droits universels de l'homme » tout en vendant bombes et armes, tout en produisant des abattoirs en série, des Mac Do et cochonneries (que je mange aussi, oui, oui!), un monde qui ne voit aucun problème à faire défiler sur les postes de télévision des annonces invitant à manger sainement tout en produisant des poulets, des vaches et des cochons piqués aux hormones... Une terre habitée qui ressemble de plus en plus à une gigantesque mare de boue dans laquelle de tristes cochons se roulent ou se vautrent en attendant la fin, ou même, en s'en foutant complètement...

Nous semblions décidément bien incapables de rêver autre chose, car croyez-moi, pour rêver et réaliser il faut du temps mais le temps dans ce monde est compté comme l'est l'argent. Alors voilà, pour moi, malgré les efforts que semblait faire l'univers pour répondre à mes petits besoins, malgré la beauté de ce lieu où mes roulottes s'étaient posées, malgré l'impression de paix qui en émanait, mon cœur restait agité car ma rentrée était une rentrée... dans le lard... De cochon bien sûr!

Installés sous les grands arbres du Domaine de Gaure



1 commentaire:

  1. C'est tout à la fois avec plaisir et souffrance que j'ai parcouru ta gazette. Tu as raison : l'école est le reflet de la vie, seul le dialogue avec les enfants pourront apporter du baume à leur souffrance. Qu'ils fassent ce qu'ils peuvent le mieux possible et plus tard ils pourront construire un monde meilleur. Ma fille Cécile a les mêmes problèmes, je lui conseille les fleurs de Bach qui soignent l'émotionnel....
    Gardez courage. Vous avez beaucoup d'admirateurs. A bientôt j'espère si vous passez par Le Somail.... Je vous embrasse. Anne-Marie

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