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La grille d'entrée du Domaine de Gaure |
Ce que nous savions depuis le mois de
Juin, c'est que nous devrions nous poser quelque part pour résoudre
les questions liées aux choix de nos enfants d'intégrer l'école...
Quelques deux semaines avant la fin avancée de notre saison (fin
Août) nous ne savions toujours pas où, ni comment nous allions
résoudre nos multiples préoccupations. Il est, en effet, très
compliqué de s'arrêter sur les problèmes tout en assumant les
contraintes d'une tournée (temps de route, montage, démontage,
représentation, intendance, rencontre avec le public, distribution
de plaquettes et affichage...). Mais heureusement, sans doute, cette
vie d'aventure nous avait appris le « lâcher prise ».
Nous attendions donc le hasard...
Le hasard fit bien les choses, puisque
Dan, (un spectateur nous ayant rencontrés à Carcassonne), et
habitant Rouffiac, (entre Limoux et Carcassonne), nous proposa de
rencontrer la Mairie afin d'étudier les possibilités d'un accueil
provisoire sur ce secteur. Après enquête, Dan nous communique les
coordonnées d'un homme possédant un grand domaine sur le village,
peut-être susceptible de nous y accueillir. Sans tarder, nous
profitions donc d'un jour de relâche de la fin du mois d'Août pour
contacter le monsieur en question. On nous l'avait présenté par
téléphone comme « un belge qui possède plusieurs gîtes ».
Xavier téléphone : « Oui bonjour... Nous sommes une
petite compagnie de théâtre et nous cherchons un lieu pour nous y
poser afin de résoudre de multiples problèmes : trouver des
écoles pour nos enfants, redémarrer une nouvelle création à
deux... On nous a parlé de vous, et on nous a dit que vous étiez
belge installé dans un domaine, vous aviez des bâtiments à louer,
de l'espace pour y poser des roulottes, et que votre domaine était
situé non loin de Carcassonne... ». Pierre (le propriétaire)
répond un peu ennuyé : « Alors là, je vous arrête...
Je ne suis pas belge, mais les gens me prennent pour un belge car j'y
ai vécu 24 ans, de plus, je ne possède rien à louer, mais là
encore les gens pensent que je loue des bâtiments, car pendant la
période des vendanges certains de mes bâtiments accueillent mes
ouvriers, je possède en effet de nombreux bâtiments mais ils ne
sont pas destinés à la location,... Non, je crois que je ne peux
malheureusement pas vous aider. »Alors que Xavier s'apprête à
raccrocher en s'excusant de l'avoir dérangé, Pierre demande
prudemment : « Mais, excusez-moi, vous n'auriez pas un
petit accent?... belge ?... » Xavier rigole : « Oui,
nous sommes belges, ça fait 10 ans que nous avons quitté la
Belgique » Pierre, enthousiaste : « Mais attendez !
Ça change tout, si vous voulez on peut se voir demain... Attendez,
je regarde mon emploi du temps... Non, si vous voulez on peut même
se voir aujourd'hui, disons, dans une heure? » Xavier, qui n'en
revient pas : « Oui, d'accord, nous sommes là dans une
heure! »
Nous voilà donc en route vers le
Domaine de Gaure, pour rencontrer son propriétaire et évaluer les
possibilités ou non d'une aide pour la rentrée qui déjà se
profile: dans dix jours nos enfants devraient tous être inscrits
dans des écoles. La grille majestueuse du Domaine m'impressionne et
je me sens toute petite à côté de la grandeur des bâtiments, de
la beauté des arbres. Nous rencontrons Arnaud (le fils du
propriétaire) qui joue sur le pas de la maison principale, Arnaud
appelle son père, la maman d'Arnaud Alla nous invite à attendre ce
dernier dehors. Nous sommes donc assis à la petite table en fer
devant la maison. Pierre apparaît, il vient s'asseoir, nous nous
présentons, nous lui expliquons notre situation, nous parlons de
notre parcours, des raisons ayant conduit nos choix (notre vie en
roulotte, l'instruction de nos enfants, le théâtre...) et à
travers notre récit Pierre devine et tente de comprendre un peu qui
nous sommes. Il conclut en disant : « Il n'y a aucun
problème, vous venez quand vous voulez, je vous fait visiter le
Domaine, et vu l'urgence , je suggère de faire un premier repérage
pour évaluer où vous pourriez poser votre convoi. » A la
question de la durée, il ne voit pas d'obstacle, si nous partons
vite, c'est pas grave, si nous restons, c'est pas grave, si nous
avons besoin d'une salle de travail, il y a la salle de réception du
Domaine, si nous voulons poser une yourte pour plus de confort, nous
pouvons le faire, si nous avions besoin d'une maison, il est prêt à
accélérer quelques travaux pour nous louer une des maisons qu'il
possède. Bref, toutes les possibilités sont ouvertes. Et comme nous
manquons de certitude quant à notre avenir, nous sommes soulagés;
nous pourrons enfin quitter la maison de Croux que nous louions sans
plus l'occuper depuis le début de notre périple, nous pourrons
trouver des écoles sachant maintenant où nous poserons notre
convoi, et nous pourrons peut-être commencer une autre création
pour sauver notre activité. Pierre a d'un seul coup résolu une
série de problèmes auxquels nous n'avions pas de réponse.
C'est ainsi que depuis la toute fin du
mois d'Août nous sommes posés sur le Domaine de Gaure. Sans tarder,
nous inscrivons nos deux enfants Mado et Gaspard au collège de
Varsovie sur Carcassonne, quant à Ysaline, elle continuera une année
supplémentaire au Cned tout en suivant une préparation à son
entrée dans un lycée musique (programme suivi à la Fabrique des
Arts), et Erwenn, lui, est inscrit sur l'école privée et
alternative « la Calandretta » à Limoux. Nous avons
signifié notre renom et préparé notre départ de Croux. Ouf, tout
le monde est casé dans son nouvel emploi du temps!
Le premier jour de rentrée d'Erwenn,
il hurle et quitte l'école poursuivit par sa maîtresse qui lui
explique qu'il ne pourra jamais quitter le lieu seul! Mado et Gaspard
reviennent du collège super heureux... Les jours suivants, Erwenn y
va en sifflotant (son adaptation fût très rapide), Gaspard et Mado,
quant à eux, montrent des signes de stress. Plusieurs incursions à
l'infirmerie leurs sont nécessaires. L'infirmière nous conseille de
donner à Gaspard un traitement homéopathique contre le stress et
les états d'angoisse. Rendez-vous fût pris avec le principal,
lorsque Gaspard revint un soir dans tout ses états ayant vécu des
réprimandes de la part d'un de ses professeurs, réprimandes qu'il
ne comprenait pas, ayant, d'après lui, fait tout ce qu'on lui
demandait.
Quant à nous, nous nous retrouvions,
submergés par les papiers à signer, écrasés par la logique
scolaire, exténués par les multiples allés et retours n'ayant pas
de navette pour Erwenn, et, ne pouvant mettre Mado et Gaspard dans le
bus ne comprenant toujours pas les horaires et trajets des réseaux
et ne voulant pas soumettre Gaspard et Mado à un effort de plus.
Nous nous retrouvions, perplexes par rapport au poids hallucinant des
cartables, partagés par l'obligation de les faire vacciner et notre
logique qui nous imposait de ne pas le faire, accablés nous étions
face à la logique des évaluations auxquelles les enfants sont
astreints de répondre dans des temps insupportablement courts, étant
alors pénalisés par des points qui frôlent le zéro, et ce, sans
qu'il ne soit tenu compte de leur grande volonté à faire au mieux.
Car, si le discours est souvent ouvert
et tolérant, si le discours des personnes chargées de l'instruction
de nos enfants semble même accueillir parfois notre réflexion
singulière sur: la violence de l'école, l'injustice de ce système,
le questionnement qui est le nôtre sur le stress comme moteur à
l'apprentissage, le système des cotations, la sur dose des devoirs
et des informations entraînant peu à peu l'absence totale de temps
libre, si donc dans le discours les choses sont parfois bien
entendues, la réalité est tout autre. La logique de, compétitivité,
d'efficience, et, de recherche de résultats par des cotations, des
évaluations, des contrôles, cette logique passe à la broyeuse les
valeurs de bien-être, d'harmonie, de créativité, de santé, de
curiosité naturelle que possèdent pourtant les enfants. L'enfant
est alors accompagné par une CPE, accueilli par une infirmière,
soumis aux médicaments, accompagné comme un malade alors qu'il
souffre de stress et qu'aucun des intervenants ne semblent vouloir ou
pouvoir mettre en question les causes qui déclenchent la
« maladie ». Tout ceci va bien entendu à l'encontre de
toutes nos convictions, et face à « l'adjoint au principal »
qui me regardait défendre la cause de Gaspard, je m'entendais lui
dire sur le ton, hélas, de la convaincue (dans convaincue, il y a
con et il y a vaincue) : « Vous dites que cette violence à
laquelle mes enfants sont confrontés à l 'école est normale
au prétexte que cette violence est la violence de la vie ?!
Mais vous savez, à 45 ans, j'ai 45 ans, je considère encore et
toujours que la violence n'est pas souhaitable, ni à l'école, ni
dans la vie, dois-je donc me considérer comme inadaptée? Et
dois-je espérer que l'adaptation de mes enfants passera donc
forcément par la violence quand ils finiront par la considérer
comme banale? ».
Je quittai l'école, murée en
moi-même, avec ce sentiment troublant et familier d'être
« étrange ». Ayant tenté d'incarner dans ma vie les
valeurs qui sont les miennes, ayant tenté de faire des choix libérés
et éclairés loin des peurs des autres, ayant tenté de travailler
sur la seule question de la paix qui commence avec la paix de soi,
ayant, pour cela parfois, choisi l'inconfort, l'insécurité, et la
solitude, défaisant parfois les liens de relations familiales ou
amicales par trop étouffantes, voilà que, par le biais de mes
enfants, ce système, ce monde que je ne comprenais pas et que je
supportais vaguement par le truchement de la scène, de la poésie et
du jeu, voilà que je faisais, moi aussi, une rentrée, qui sonnait plutôt comme un « retour » dans un monde à la logique implacable :
un monde ou l'humain n'est plus considéré qu'à la lumière de ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, une machine qui produit ou ne produit pas. Un
monde aliénant et aliéné, ou la seule valeur est aujourd'hui celle
du « pouvoir », un pouvoir lui-même réduit à la
logique de l'argent et de la rentabilité par le sacro-saint
« pouvoir d'achat ». Un monde de corruption qui n'hésite
pas à produire de belles théories comme « les droits
universels de l'homme » tout en vendant bombes et armes, tout
en produisant des abattoirs en série, des Mac Do et cochonneries
(que je mange aussi, oui, oui!), un monde qui ne voit aucun problème
à faire défiler sur les postes de télévision des annonces
invitant à manger sainement tout en produisant des poulets, des
vaches et des cochons piqués aux hormones... Une terre habitée qui
ressemble de plus en plus à une gigantesque mare de boue dans
laquelle de tristes cochons se roulent ou se vautrent en attendant la
fin, ou même, en s'en foutant complètement...
Nous semblions décidément bien incapables de rêver autre chose, car
croyez-moi, pour rêver et réaliser il faut du temps mais le temps
dans ce monde est compté comme l'est l'argent. Alors voilà, pour
moi, malgré les efforts que semblait faire l'univers pour répondre
à mes petits besoins, malgré la beauté de ce lieu où mes
roulottes s'étaient posées, malgré l'impression de paix qui en
émanait, mon cœur restait agité car ma rentrée était une
rentrée... dans le lard... De cochon bien sûr!
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Installés sous les grands arbres du Domaine de Gaure |
C'est tout à la fois avec plaisir et souffrance que j'ai parcouru ta gazette. Tu as raison : l'école est le reflet de la vie, seul le dialogue avec les enfants pourront apporter du baume à leur souffrance. Qu'ils fassent ce qu'ils peuvent le mieux possible et plus tard ils pourront construire un monde meilleur. Ma fille Cécile a les mêmes problèmes, je lui conseille les fleurs de Bach qui soignent l'émotionnel....
RépondreSupprimerGardez courage. Vous avez beaucoup d'admirateurs. A bientôt j'espère si vous passez par Le Somail.... Je vous embrasse. Anne-Marie