La note de l'écrivain

Le rêve c'est bien, mais la réalité est plus nuancée, plus complexe, terreau du meilleur parfois du pire. L'histoire humaine est jalonnée de rêves aux allures de cauchemars..

Le voyage que notre famille entreprend permet sans nul doute d'être témoins privilégiés de faits souvent ignorés ou mal évalués. Quand on vit, comme le plus grand nombre, abrité par quatre murs et un toit, on a parfois peur mais on suppose que le danger ne passera pas la porte, préférant regarder par la lorgnette (le petit écran) ce qui se passe au-dehors. Le danger n'est pourtant pas dans la réalité, mais dans le fait de ne pas vouloir la voir, où d' en nier une partie, car elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu'elle est.

Notre gazette s'invite dans vos boudoirs chaleureux, petit moment de pause, réflexions, idées, impulsions et initiatives pour que résolument attentifs, nous nous souvenions que notre humanité tient dans notre faculté à rêver et notre capacité à transformer nos rêves en réalité. Pour le meilleur et le meilleur!

lundi 12 janvier 2015

Une minute de silence ?!... Et à propos...Bonne année à tous!


J'avais hésité longuement sur le fait de participer ou non à la marche de dimanche, finalement, je décidai d'y être, espérant pouvoir pleurer avec les autres et me recueillir tout le long de cette marche qui devait nous rassembler, nous, humains, juste humains...

Je ne regrette pas d'y être allée avec mon petit stylo et mon petit carnet de notes (intégrés) car j'y relevai certains paradoxes qui allaient me permettre d'écrire ce nouvel article. Maheureusement, si mon amour de l'écriture allait être satisfait par une matière fraîche apportée sur un plateau, la citoyenne du monde que je suis, n'a pu trouver dans cette marche l'apaisement aux multiples inquiétudes qui la taraudent depuis maintenant des mois.

Voilà donc que dimanche je me rends le coeur lourd à la fameuse marche... Nous garons notre véhicule à environ un kilomètre du centre de Carcassonne, nous marchons pour rejoindre le lieu de rendez-vous collectif, place des Jacobins. Arrivée sur les lieux, je regarde, je lis les pancartes, je vois quelques drapeaux, quelques têtes voilées, d'autres chapeautées, d'autres chauves et sans protection, d'autres enturbanées... Une pancarte tenue par un individu à casquette attire particulièrement mon regard, elle mentionne : « Tous à poil pour Charlie! ». Je souris en retrouvant, dans la formule, un peu de cet esprit, de cet humour, et de ce second degré qui colorent la ligne éditoriale de Charlie Hebdo. Quand une dame d'environ 65 ans, juste derrière moi, et s'adressant à son compagnon, soupire indignée : « Oh lalalala!!!... Tous à poil pour Charlie... Quelle horreur ! Non, mais je te jure y'en a vraiment! ». Me retournant vers elle, je m'interroge : « La pauvre ! Elle a pas compris que personne ne lui demandait de se déhabiller sur le champ?... », ça y est mon esprit s'emballait, qu'est ce qui diable semblait l'offusquer à ce point ? Et mon esprit échaffaudait déjà des hypothèses : « Est-elle horrifiée à l'idée de s'imaginer nue au milieu de tous ces autres nus ? Peut-être encore n'a t'elle jamais prononcé les mots, « à poil », « cul », « bite », « couille », « nichon », ou moins vulgairement, le mot « nu » sans rougir ? Ou peut-être n'aime t'elle plus ce corps qui est le sien et qui viellit inéluctablement? Ou peut-être encore lui a t'on appris que tout ce qui touche au corps est forcément sale... » Bref, prise dans mon flot perpétuel de questions en tout genre, et concluant en moi-même que dans ce contexte pudibon, ben, ça allait pas être simple de répondre à la question « peut-on rire de tout? », elle coupa court par cette révélation soudain éclairée mais surprise: « Ah, oui ?!!!! Peut-être faut-il le prendre au deuxième degré ?» Je respirais, y'avait de l'espoir: si elle avait gagné le second degré, peut-être cela serait il accessible à tous un jour.

Après l'épisode du « tous à poil! », j'avais hâte que la foule se branle...Oup !... Pardon... je voulais dire s' ébranle. (Euh... Là, c'était donc du second degré!). A dire vrai, les bavardages incessants autour m'indisposaient, j'avais besoin de silence, juste une minute, mais du silence!...

Nous avancions en foule compacte et lente, nous nous arrêtions ça et là, fesant une pause, comme d'énormes brontausores ruminants ... (l'humanité était-elle vouée à une disparition certaine, nous n'en voulions sans doute rien savoir, puisqu'à la marche récente pour le climat nous n'étions que 100.000) puis nous applaudissions comme des abrutis sans savoir pourquoi. Mado me demanda pourquoi nous applaudissions. La foule était si nombreuse qu'il nous était impossible de percevoir ce qui se disait ou, même, ce qui se vivait au devant du cortège, ainsi, une vague d'applaudissements émergeait de temps à autre, et quand elle nous atteignait, nous applaudissions. « Devant » ça a applaudi, j'applaudis, « derrière » ils applaudiront. Pour le coup, je me sentais ridiculement conformiste et obéissais sans comprendre simplement comme pour dire : « je suis là, avec vous ».

Alors que, ruminante, j'avançais sans plus espérer la minute de silence (j'ai l'espoir court, ce qui m'aide souvent à m'ancrer dans la réalité...), un homme d'une quarantaine d'année se moquait derrière moi, une femme l'accompagnait qui riait fort, tendant l'oreille pour savoir le sujet de leurs moqueries si franches, je constatais consternée que le sujet de la raillerie c'était moi ! (C'était beaucoup moins drôle ! Au secours ! Où était donc mon second degré?). Là dessus, j'en étais sûre: la description moqueuse qu'ils fesaient de ma tenue vestimentaire ne laissait place à aucun doute. Pourtant, je vous le jure (et je précise avant qu'on ne me pète la gueule!) je ne portais aucun signes religieux, je n'avais même pas de bonnet, ma tête n'était pas couverte, enfin je n'avais sur la tête que mes cheveux... roux,...pitié ne me brûlez pas, je jure devant dieu... (merde là je m'enfonce!)... Enfin je jure n'être pas sorcière... Bon c'est vrai, j'avoue, je portais des vêtements clairs (trop clairs?), un pull en laine avec des poils longs (trop longs?), des chaussettes longues elle aussi (trop longues?) que je portais au-dessus (trop au-dessus?) du pantalon (trop long?), et à y réfléchir de plus près, je ressemblais un peu à « Choubaka » (je précise que la ressemblance était tout à fait fortuite et humble, car je ne voudrais pas que les adorateurs de « Star Wars » crient au blasphème et me pète la gueule à leur tour!). Blague à part, agacée par l'insistance de leurs moqueries, je finis par me retourner. Le moqueur essaya d'échapper à mon regard de tueuse (inutile d'appeller la police, comme tueuse je suis déjà fichée), mais comme mon regard est précis (des heures d'expériences en tir de précision), le moqueur ne put fuir, je lui indiquai ma pancarte collée sur mon sac « Sèm Charlie » (tr : nous sommes Charlie en Occitan) et par un geste je l'invitai à y réfléchir. L'incident clos et ma dignité retrouvée, je continuais à marcher, j'étais un peu « chipotée ». Je tentais d'apaiser mon ébranlement en méditant sur le sens du concept « liberté », pas très loin du concept de « tolérance », non loin du concept d' « amour », non loin du concept d' « égalité », lui-même proche de celui de « fraternité », non loin du concept d' « ouverture », et pas fort loin du concept de « laïcité », proche d'un concept plus récent : celui de "Charlie". Face à l'extrême complexité des différents concepts, et étant assez basique, je ne retins que cette chose simple et je tentai une sortie grâce à l'humour : « dans tout ces concepts ce qui frappe c'est le son « con » … Et, une chose est sûre, la connerie ne porte pas toujours de signes distinctifs, ça doit être pour ça qu'on se la prend si souvent sur le coin de la gueule ne l'ayant pas vue venir de loin! » Partant du constat qu'elle vient de loin, c'est à dire au-dehors par opposition au-dedans, je me dis qu'il serait sûrement utile d'habiller tout les cons du même costume, au moins, le costume offrirait l'avantage de préparer la défense. J' imaginais donc le costume de « Choubaka » (Pour les adorateurs de Star Wars, ceci est bien sûr un exemple, qu'ils n'y voient donc surtout pas une attaque personnelle).

Je continuai donc à marcher en n'espérant plus, mais en souhaitant, plus simplement, une minute de silence. (Ne pas confondre ici, le souhait et l'espérance : le souhait étant un présent que l'on offre à soi ou à l'autre, quand l'espoir, lui, nous déloge souvent du présent, en nous projettant dans un futur qu'on espère souvent « meilleur », meilleur étant aussi un concept). Je marchais donc, prête à m'offrir cette minute de silence, quand mes oreilles furent agressées (OUI ! AGRESSEES ! J'ai les oreilles extrêmement sensibles!) par des voix de femmes qui parlaient fort, très fort, en fait, en m'approchant de la source du bruit, elles criaient, à vrai dire, maintenant elles s'engueulaient et s'égosillaient, ça y est mon esprit s'emballait à nouveau : « Mais pourquoi elles crient, je veux du silence, bordel, c'est pas vrai, elles peuvent pas se retenir, juste aujourd'hui, juste une minute quoi, mais qu'est ce qu'elles ont? » Un type s'était approché, il essayait de calmer les femmes. Je m'arrêtai et j'observai la scène sidérée, atterrée. L'une des femmes, la soixantaine, petit carré court, jeans, pull et chaussures de marche invinctivait violemment les deux autres en hurlant:  « Mais enlevez moi ces foulards ! C'est un pays laïc ici ! Enlevez moi ces foulards c'est ridicule, quand allez vous cesser d'affirmer partout votre croyance, est ce que moi je porte une croix, c'est ridicule, c'est comme si tout les jours je sortais de chez moi avec un long vêtement et ma grosse croix dessus! ». Les deux femmes voilées... dans leur peine, tentaient d'expliquer qu'elles aussi étaient venues poussées par la peine et le désir de partager leur tristesse avec tout le peuple français. Le ton montait car l'autre n'entendait rien et continuait à hurler de plus belle ses principes de laïcité.

Moi, je formulais mon premier voeu de l'année nouvelle : « Je voudrais tant, juste, une minute de silence! »

En fin de compte, je rentrais chez moi vers 20H00, le coeur toujours aussi lourd, avec cette idée absurde mais ce vrai souhait pour tous, comme un présent possible : «  Au lieu d'imposer une minute de silence à laquelle on ne comprend rien, peut-être pourrait on s'offrir la possibilité d'expérimenter le vrai silence par un travail en méditation? » Ainsi pourrait- on vivre parfois quelques secondes de paix... intérieure.

Bon, j'avoue, j'ai dérapé une fois de plus : cette idée est une lamentable utopie, car, sachant à quel point « faire taire » son esprit quelques secondes pour en devenir le maître est un travail, sachant que souhaiter se conjugue au présent et que le présent est le cadeau, l'on ne pouvait jamais l'offrir en y ajoutant la formule : « Tiens ! J'te l'offre! Mais prends- le, prend- le j'te dis! » Et puis, le crayon sur la tempe, d'ajouter à la victime du cadeau: « Tu vas le prendre oui, ou je te pète ta gueule? »

Je tentais donc de faire silence en moi, quelques secondes... Et me trouvant seule et reliée... je retrouvais le sens de mes orgines, de mon humanité, je voyais mon voile, celui que j'ai toujours porté, un voile qui parfois cache mon obscurantisme, parfois il révèle ma conscience, ce jour là, ce voile était juste celui de mon indiscible douleur et ma douleur cachait un présent : la souffrance sombre et ravivée chaque fois que l'on tue et que l'on ne peut supporter la liberté... d'être, et en même temps cette certitude révélée, absolue et lumineuse, de l'infini privilège d'être de cette belle humanité.

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